Stuart Staples.
Le pur nom 100% british, l’archétype rosbeef, que tu imagines acteur d’avant guerre, partageant l’affiche avec Robert Donat, Robert Newton ou Trevor Howard. Pourtant un nom, comme une apparence, peut être terriblement trompeur, dans la mesure où le leader discret de Tindersticks est sans doute un des chanteurs les plus frog-friendly de sa génération. Le type kiffe la France comme un jobastre.
Les indices sont innombrables. Le groupe a composé pas moins de sept B.O pour les films de Claire Denis. Depuis le milieu des années 2000, Stuart (et bientôt les autres membres du groupe) s’est installé dans la Creuse, délaissant la rigueur morne de la région de Nottingham, pour poursuivre son travail (pour tout dire, à part le doux exotisme lié à Robin des bois, le coin déprime).
De nombreux titres évoquent cet attachement viscéral à la patrie de Patrick Sébastien (vous ai-je parlé du magnifique "Marseilles sunshine" ?).
Bref, Tindersticks aime la France et la France le lui rend bien. Un French kiff.
Une anecdote éclaire la personnalité chaleureuse et éclairée des types qui composent cette joyeuse troupe. Au milieu des années 90, le magasin dans lequel je travaillais comme jeune vendeur disque, frais et pétillant (et presque beau, ai-je envie d’ajouter) reçut le groupe dans le cadre d’un show-case mémorable. Deux souvenirs marquent à jamais cette visite qui n’eut rien d’une obligation professionnelle proche de la corvée, comme nous le font sentir tant "d’artistes" au début d’une renommée qui n’arrivera parfois jamais.
Le groupe n’avait aucune autre exigence que la possibilité de répartir suffisamment de verres (à pied) de vin pour couvrir l’ensemble des limites de l’estrade sur laquelle il jouait. Une véritable profusion de récipients que le sextet se fit un devoir et un plaisir d’honorer avant la fin d’un set agréablement prolongé. La suite fut encore plus savoureuse : les musiciens vinrent flâner dans les rayons, et demander aux vendeurs aux anges (dont je fus) des conseils sur de la bonne musique française. A la suite de quoi, ils nous offrirent des invitations pour le concert du soir, pour nous remercier de notre attention. Des types classe, tout simplement.
La structure du groupe a tout du truc assommant. Autour d’une rythmique basse-batterie des plus classiques, gravitent une guitare, un clavier et un violon qui peut rapidement se transformer en trompette (ou autre instrument étrange aux sonorités mélancoliques), au dessus de quoi plane la voix profonde et caverneuse de Stuart, sorte de Léonard Cohen douché par les incessantes larmes de pluie acides de l’atone Albion.
Le deuxième album (confusément intitulé Tindersticks, comme le premier) étale la palette quasi complète de ce qu’est capable de proposer le groupe. Qu’on se le dise, dans son genre, on est pas loin du truc parfait.
Après une intro entêtante et dissonante, le sextet bifurque sur une ballade claire-obscure planante qui pourrait être ridicule chez 95% de leurs confrères. Là, au contraire, dès ce "A night In", on frôle le sublime.
http://www.youtube.com/watch?v=o_Y_c4f6WdE
Et sans frayer deux fois dans les mêmes eaux, le groupe sillonne un lac parfois sombre et inquiétant, souvent limpide et serein. "My sister", avec sa fausse assurance chaloupée, cache, l’air de ne pas y toucher, son humour-noir mordant. S’ensuivent une ribambelle de petites pépites atmosphériques qui scintillent discrètement comme autant de touches expressionnistes qui finissent par composer un tableau feutré et classieux, du genre de ceux qu’on regarde encore quand les années, comme les modes, sont passées et que les goûts ont muris.
Si vous connaissez mieux pour siroter un cognac au coin du feu en lisant un bon Wilkie Collins, envoyez-moi un pigeon voyageur séance tenante : je suis preneur.