En 1976, les distributeurs français, bien décidés à ne pas se laisser dépasser par la vague punk, avaient cru bon d'affubler le premier album de Tom Petty and the Heartbreakers d'un auto-collant à épingle à nourrice. Notre surprise avait donc été grande de découvrir dix chansons plus traditionnelles que traditionnelles, perpétuant les codes inusables du rock'n'roll, de la country, voire du blues rock US, sans déroger d'un iota au genre. Mais là où l'étiquette s'avérait moins mensongère, c'est que ce programme "habituel" était exécuté avec un esprit de concision, d'immédiateté, d'urgence même parfois qui faisait en effet de cet album le digne contemporain des récentes explosions de rock urbain et enragé : une sorte de "ligne claire", pré-new wave (guitares économes et cristallines, voix acide, production à la lisibilité totale), qui prouvait qu'on pouvait jouer le même Rock que tous nos prédécesseurs, et le rendre totalement pertinent. Autre caractéristique indiscutable de cet album, il est absolument parfait pour être écouté au volant, sur les highways américaines ou dans les petits lacets du Massif Central, peu importe : Petty et sa bande matérialisaient ici leur fantasme d'une musique pour la route, pour la nuit... et pour les cœurs brisées, évidemment. Le bémol qu'on peut apporter à ce beau projet, c'est que le niveau moyen des chansons n'a rien d'extraordinaire : Petty fera mieux, et beaucoup mieux même plus tard, au fil de sa longue carrière de musicien désormais "classique". Reste quand même ici deux merveilles inépuisables, le suave et tendu "Breakdown", et la conclusion - irrésistible, une merveille absolue - avec "American Girl". Cela fera notre bonheur, et pour longtemps. [Critique écrite en 2015]