Lâcheté et mensonges
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On a régulièrement l’occasion de célébrer combien le Blues reste, dans la seconde décennie du XXIème siècle l’une des musiques les plus pertinentes, et donc les plus vivantes qui soit. Loin d’être devenue une musique « classique », donc mûre pour le musée », ou encore une spécialité réservée aux experts, cette musique qui fut longtemps circonscrite aux états du Sud Etats-Unis, sorte de « sous-produit » génial et incontrôlable des horreurs de l’esclavage, est désormais l’une des plus profondément globales qui soit… Et honnêtement globales, puisque sa prolifération et son succès ne doivent rien au Marketing et au pouvoir des médias, de l’argent : c’est sa capacité à véhiculer efficacement des situations et des sentiments universels comme la lutte pour la survie matérielle face à un système politique, social qui opprime et exploite l’individu, la recherche de l’amour et les difficultés matérielles de la vie, qui offre au Blues sa formidable pérennité.
Prenons l’exemple de Bai Kamara Jr., musicien originaire de la Sierra Leone, l’une des régions du monde où les conflits sont désormais endémiques et où la misère est forte : désormais installé à Bruxelles, il sort un nouvel album, le dixième depuis 1996, Traveling Medecine Man. Un disque attendu au tournant, car devant confirmer le succès international rencontré par son prédécesseur, Salone, il y a 3 ans de cela. Première constatation, dès la première écoute : c’est quand son Blues embrasse son discours « activiste », ou tout au moins engagé, qu’il nous séduit le plus. Ainsi sur Mister President, une lettre ouverte au leader d’un pays accusé de corruption, ou encore sur It ain’t easy, description frontale des raisons de l’émigration vers l’Europe et de ses difficultés : « Fishing for Visas / In an Ocean of Corruption » – à la pêche aux visas / dans un océan de corruption). Quant à If I Could Walk on Water, il « ironise » douloureusement sur le fait que le super-pouvoir de Jésus serait bien utile aux migrants africains pour ne pas périr lors de leurs traversées…
Seconde évidence, si l’on parle logiquement ici de Blues, la musique de Bai Kamara Jr. est beaucoup plus polymorphe que cette étiquette le laisse entendre. On entend sur Traveling Medecine Man des rythmes et des atmosphères purement africaines, on ressent des émotions folk (If You Go, littéralement bouleversant), on explore des passages jazzy, on perçoit des colorations rythm & blues, on trépigne sur du boogie (l’irrésistible morceau d’ouverture, Shake It, Shake It, Shake It), et on rencontre même (quasiment) du rock « classique », comme sur Miranda Blue, illuminé par une guitare magnifique.
Cette multiplicité des styles aide à maintenir l’intérêt de l’auditeur tout au long de l’heure que dure l’album – qui, comme c’est souvent le cas, réduit à 40 minutes, aurait été encore plus convaincant. Mais elle témoigne surtout de la remarquable versatilité musicale du groupe accompagnant Bai Kamara Jr., The Voodoo Sniffers, et de la maîtrise vocale de Kamara : en général plutôt dans la douceur, voire la suavité, il sait quand il le faut exprimer toute la douleur et surtout la colère, essentielles à certaines de ses chansons (par exemple sur I Don’t Roll with Snakes, le blues-rock le plus infernalement efficace de l’album).
Un autre élément qui distingue Traveling Medicine Man de bien des disques recyclant un peu paresseusement la syntaxe du Blues, c’est la qualité de nombreuses mélodies, qui confèrent à l’album un aspect presque « pop », ou en tous cas témoignent d’une ouverture à un large public : un titre comme Surrounded, par exemple, aurait le potentiel de devenir un vrai succès, comme ont pu l’être, à une autre époque, certaines chansons de Simply Red, que l’élégance du style de Bai Kamara Jr. peut évoquer, mais heureusement avec un côté beaucoup moins « produit manufacturé ».
Belle réussite en tous cas que cet album qui nous fera tour à tour danser, nous émouvoir, nous révolter : un beau programme !
[Critique écrite en 2023]
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Créée
le 11 avr. 2023
Critique lue 21 fois
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