Brisé.
Brisé comme un oiseau en plein vol. Trop tôt bien entendu, beaucoup trop tôt, mais malheureusement on ne les compte plus les artistes dans ce cas.
Mais si pour une fois on ne s'apitoyait pas sur son sort, à Michel Petrucciani ? Si pour une fois, on ne listait pas tout ce qui ne va pas ?
Parce que pour une fois, j'ai pas envie de le plaindre. Parce que j'ai pleuré de joie en écoutant cet album. Parce que j'ai envie de parler du bonheur de vivre.
Du bonheur d'un homme frappé d'une maladie sévère, l'ostéogénèse imparfaite, ou "maladie des os de verre". Une maladie qui le laisse handicapé, fragile... Mais ça tout le monde le sait, et pour une fois je m'en fous.
Je m'en fous parce qu'apparemment lui aussi. Des échappatoires devant le drame, le sort qui s'acharne, il en existe des pleines cagettes. Michel, lui, il a choisi le jazz. Ou le jazz l'a choisi, je sais pas qui a commencé.
Je te connais, toi, lecteur impertinent. Tu vas me dire que c'est facile comme échappatoire la musique, que c'est commun. C'est facile oui, là où c'est dur c'est pour en sortir grandi.
Je parle pas de blues, de folk... Je parle de jazz. Un jazz joyeux, bondissant, jouissif. La musique de Michel Petrucciani reflète son état d'esprit. C'est la fête, profitons-en.
Marié 4 fois, premier artiste non-Américain à signer chez Blue Note, pianiste et compositeur de jazz émérite notamment en live... Trop facile de s'apitoyer, il est temps de se battre. Pardon, pas de se battre, de profiter. La vie est trop courte pour essayer d'oublier, de se battre, de s'acharner. Pas de prise de tête, il joue.
Il avait tout pour se plaindre, pourtant il a choisi exactement l'inverse. Comme s'il avait trouvé la clef du bonheur bien avant tout le monde, et que par sa musique il voulait tous nous en faire profiter.
Alors Michel régale. A New York, à Tokyo, partout dans le monde, ses mains tentaculaires volent sur le piano, de thèmes brésiliens en standards de jazz. Piano vissé au sol (majeur), le rendu visuel est fa-la-cieux car il nous propulse en réalité vers ces derniers.
En écoutant ce live, impossible de ne pas se surprendre avec un sourire discret et les larmes aux yeux. Tout simplement parce qu'il est évident que lui aussi avait ce sourire au bout des lèvres, et que ce jour-là, deux musiciens talentueux l'ont aidé à subjuguer toute une salle. A leur montrer un aperçu du bonheur, même un instant. Même une petite heure.
On l'a toujours dit, dans le jazz, tout vient de la liberté, de la joie. De cette faculté innée, inexplicable à faire jaillir les notes des tréfonds de son âme. Pendant qu'on s'escrime, ici-bas, à faire parler les touches, plus haut, bien plus haut, Michel Petrucciani danse sur un piano auquel on n'a même pas accès.
Le piano des dieux.