L'opéra commence par un appel à la mort : sur le bateau qui l'emporte en Cornouailles, Isolde l'Irlandaise réclame la mort qui pourra la rendre libre. Elle se décrit comme un cadavre ambulant. Etrange paradoxe qui ouvre cette oeuvre : vivante elle se dit morte et attend une mort qui la rendra vivante. On commence par une inversion des valeurs.
Et tout l'opéra sera de ce gabarit, mélangeant de façon indissociable l'amour et la mort. Ainsi, Isolde, un peu sorcière sur les bords, a avec elle deux philtres : un philtre de mort, un philtre d'amour. Pensant prendre l'un, elle boit l'autre ; croyant mourir en même temps que Tristan, elle unit sa vie avec lui. La volonté de mort a amené les deux personnages vers l'amour, et de l'amour vers la mort.
C'est l'objet du prodigieux deuxième acte et de cet exceptionnel duo d'amour (45 minutes environ où les deux amants sont seuls en scène, moment unique d'une inoubliable beauté), pendant lequel Tristan et Isolde réclameront la mort qui les délivrera enfin des conventions sociales et les réunira à tout jamais, une mort grâce à laquelle ils n'auront plus à se cacher et pourront jouir pour l'éternité de leur amour mutuel :
"Ainsi nous mourrions, jamais séparés, à jamais unis, sans fin".

La mer et les bateaux ont une importance capitale dans cette oeuvre. Dans l'Acte I, Isolde raconte sa rencontre avec un Tristan grièvement blessé qui dérivait sur une barque. A la fin, dans l'Acte III, les positions sont inversées : Tristan agonisant attend l'arrivée en bateau d'une Isolde seule à même de le sauver. Entre les deux, il y a tout ce premier acte, sur le bateau, où Tristan et Isolde sont réunis mais où l'Irlandaise voue au chevalier une haine terrible et vengeresse.
Comment ne pas voir dans cette omniprésence de la mer une métaphore du Destin qui emporte les personnage vers leur fin tragique ?

Le texte, signé Wagner lui-même, est sublime, ce qui n'est pas fréquent dans les opéras. Wagner s'est éloigné de la saga médiévale pour adapter cette histoire à son univers particulier, un univers païen rejetant les valeurs chrétiennes : une sorcière, des philtres magiques et surtout une rédemption par l'amour humain et non divin.
Le compositeur inverse même les codes médiévaux : dans les textes originaux, la passion était condamnée car elle éloignait les personnages de la société, elle les coupait du monde et de leurs devoirs envers les autres hommes. Ici, Wagner prend le parti opposé : l'amour est exalté exactement pour les mêmes raisons, car il transcende les individus, car il recrée un couple originel et retire donc les personnages loin de la basse réalité quotidienne. La mort finale d'Isolde en est un exemple : cette mort n'est pas triste ou dramatique, c'est une apothéose, une transformation en un être supérieur.
De plus grands spécialistes que moi diront à quel point la partition de Wagner a révolutionné l'opéra. Je me contenterais de dire à quel point la musique wagnérienne transporte l'ensemble de l'oeuvre, marquant la fatalité, la rapidité d'un récit qui court vers sa fin, la mort qui entoure les personnages à chaque instant, l'amour qui les transcende... Tout un tourbillon dont on ne peut ressortir malgré les 4 heures 30 de représentation.
Une oeuvre époustouflante, particulièrement émouvante, subtile, intelligente, révolutionnaire, en un mot : sublime !
SanFelice
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le 13 oct. 2012

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SanFelice

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