Un jour, nous nous réveillerons et nous n'aimerons plus les Pixies. Ce matin-là, nous nous réveillerons et nous ne voudrons plus du rock. Et les Pixies seront les premières victimes de ce changement de régime, car nul autre qu'eux incarne de façon plus basique, plus physique, plus charnelle, plus directe, notre rock. Toujours en première ligne, les Pixies, chair sans protection, entrailles à tous vents. On ne voudra plus dire des Pixies, langage soudain archaïque, qu'ils sont "le meilleur groupe de rock'n'roll du monde" comme on dit d'un boucher qu'il est "le meilleur ouvrier de France", entendant par là même qu'il ne peut être que ça, une bête de foire obscène dès que sortie de son contexte.Ce matin-là, les plus malins s'en sortiront toujours. Mais pas les Pixies, qui n'ont jamais calculé, spéculé, truqué. Eux jouent dans un mélange de tripes et de cœur où le cerveau se contente de régler les affaires courantes. Ils n'ont que leur rock à offrir, plus et mieux que tous les autres. Mais qu'auront-ils à nous donner, qu'est-ce qui pourra encore nous fasciner chez eux quand nous aurons évacué ce rock ? Des textes à griffonner sur les cahiers de classe ? Ce n'est pas avec ces histoires biscornues, avec ces cadavres exquis directement branchés sur le câble de la télé, qu'on sauvera nos vies. La poésie surréaliste ? Il y en a plus dans un drible de Chris Waddle que dans les quinze short stories de Trompe le monde. Des porte-drapeaux ? A côté de Black Francis, Gérard Lenormand fait à l'aise office de protest-singer. Une image à laquelle se raccrocher ? Pas même les trombines d'andouilles qui sauveront les Ramones ou Dinosaur Jr, pas même les gueules à fantasmes de Ride. Les Pixies demeureront les spécialistes jusqu'au-boutistes de leur rock et de lui seul, comme il existe des spécialistes de la stérilisation du fromage frais : des experts fonçant tête baissée dans leur impasse. Et qui trompe son monde ? Le félin qui enfile pour peindre une salopette de pachyderme (faux sagouin, vrai jongleur) ou le pachyderme qui se veut félin ? Head on, dernière escale avant Billy Idol, mais à quel degré ?Ces guitares qui hurlent, des Pixies à My Bloody Valentine, sont le chant du cygne d'une espèce qui refuse de mourir. C'est la mort digne, les yeux grands ouverts face au peloton d'exécution, c'est Tintin qui crie "Vive Alcazar" devant les fusils, entre inconscience et résistance. Cher Black Francis, dernier rempart, défenseur de ce sacré putain de rock sur lequel nous avons bâti notre église et duquel on finira, tôt ou tard, par glisser. Des types comme ça, incarnant aussi pleinement leur mission, ne peuvent finir que troués de balles ou héros nationaux, souvent les deux. Les premières salves seront pour les Pixies, car ils sont ? sublimement têtus comme des mules ?, le meilleur groupe de rock du monde. (inrocks)