Dites-moi, qu'est-ce qui peut bien pousser quelqu'un à s'offrir cet album à la pochette rougeâtre, cadrant un type affublé d'un drôle de masque qui aurait l'air de vous chuchotter un secret se transmettant de bouche de truite à oreille de truite ? Quelle peut-être la réaction de cette personne à l'écoute du joyau que renferme cet écrin peu conventionnel ? Que se passe-t-il alors dans sa tête une fois le disque lancé ? Autant de questions qui divisent en deux parties le monde de ceux qui ont déjà écouté cet album.

Vous ne pouvez pas y être indifférent. Don Van Vliet, aka Captain Beefheart, est un de ses artistes dits arty des années 70 à avoir bouleversé la vision la musique. Cette façon de voir et créer la musique, le jeune Van Vliet ne l'a pas créé de toute pièces : en réalité, il découvre dès son plus jeune âge les bases de ce qui deviendra plus tard ce blues psyché expérimental, en faisant tourner des vyniles de blues et r'n'b de l'époque dont il partage l'écoute avec son grand compagnon, un certain Frank Zappa. En témoignent ses premiers travaux avec son Magic band, le Safe As Milk de 1967, où l'on sent déjà que les sonorités blues sont plus que teintées de pyschédélisme. Strictly Personnal, étape de transition, met en évidence que le groupe cherche à chatouiller les limites du blues pour mieux les transgresser. Il faudra attendre l'année qui suit pour que Captain Beefheart en arrive à son apogée créatrice. Alors qu'en 1969, le monde découvre le puissant hard blues de Led Zeppelin, la réplique du masque de truite soulève bien des questions, car jamais avant, on n'avait entendu de telles choses : blues déjanté, absence de tempo prédéfini, ryhtmique indomptable, cacophonie à la rage créatrice surplombée par la voix unique de Beefheart, éructant avec la folie d'un schizophrène des textes dadaistes complètement barrés. Les 28 pistes de l'album sont d'une force brute, navigant entre blues expérimental et free jazz - les improvisations de Van Vliet à la clarinette donnant encore plus de profondeur et de puissance d'impact à cette musique imprévisible.

Ce changement soudain n'est pourtant pas du à un simple éclair de génie : il faut remercier Zappa, qui tapis dans l'ombre, a capturé ces neuf heures de pure création dans ses studios personnels. Sans cela, peut-être n'aurions-nous jamais connu tel embrasement exultatoire, qui précède le non-moins génial Lick My Decals Off Baby, sorte de condensé de Trout Mask Replica, malheureusement non réédité depuis 1989 et donc, very hard to find.

Un condensé, oui ! Car il est vrai qu'avec près d'une heure et demie (!) de programme, beaucoup ont souvent tendance à vouloir zapper quelques pistes. Bien leur en prend ? Que nenni ! Chaque morceau est une perle. Si malgré vos efforts, cela reste inécoutable, ou trop long, mieux vaut faire une pause et retenter le coup plus tard.

En espèrant qu'après, à tous ceux qui vous disent que ce truc est kitchissime et que ça ne mène nulle part, vous leur répondez : Ah! stupide, Trout Mask Replica, c'est juste un des meilleurs albums de tous les temps.

PS : La camisole de force n'est pas fournie.
Messiaenique
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le 20 juin 2012

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