Milk & Honey
"Le plus connu des musiciens folk sixties dont personne n'aie jamais entendu parler." Ainsi s'exprime très justement un journaliste dans un article dédié à la mémoire de Jackson C. Frank, mort en...
Par
le 17 oct. 2013
68 j'aime
5
Roky Erisckson est plus qu'un vétéran ; c'est un rescapé.
Le hurleur des 13th Floor Elevators a passé la majeure partie de sa vie ballotté entre les diagnostics de schizophrénie, les procès, les internements et les étranges obsessions (fasciné par le courrier à une époque, le passe temps favori de Roky était d'envoyer des lettres à n'importe qui... et à piquer le courrier de ses voisins pour décorer sa chambre). Une fois passé son temps à faire du hard-rock avec ses Aliens (ou à en "héberger un dans son propre corps" sic), Erickson s'étiola pendant les eighties. Cependant, durant ce temps, une bonne partie des kids qui se régalaient à l'époque des disques des Ascenseurs du 13ème étage passa dans la cour des grands et se mit à faire ce que fait tout bon artiste consciencieux en arrivant à l'âge adulte ; rendre hommage à leur idole passée. Ainsi l'homme, prématurément vieilli par une vie euh... agitée, fut-il recueilli par une nouvelle scène rock qui lui donna la place de s'exprimer librement. Les Butthole Surfers en première ligne prirent Roky sous leur aile dans les nineties, suivirent parmi d'autres les Texas Tornado ou Henry Rollins. Dans les années 2000, le chanteur vieillissant sembla s'assagir un minimum et commença à prendre un traitement pour stabiliser son état mental. Quelques tournées suivirent, notemment avec les Black Angels en backing-band, pour revisiter le catalogue des Elevators. Et pour en venir enfin au sujet de cette chronique, parmi ceux qui se firent allègrement la béquille du père du psychédélique figurent en bonne place les collègues Texans d'Okkervil River. Ayant déjà joué avec le maître deux ans auparavant, ils s'embarquent finalement pour un projet collaboratif en 2010. Ainsi naquit True Love Cast Out All Evil.
Mais ma logorrhée biographique ne nous renseigne pas vraiment sur la qualité de ce fameux disque. Après tout, on pourrait attendre d'Erickson, au vu de son passif, qu'il ne soit qu'un allumé sans prises avec la réalité et incapable de produire une chanson correcte. On pourrait supposer que cette collaboration n'était de la part d'Okkervil River qu'un acte de sympathie envers une idole déchue, comme a pu l'être dans d'autres circonstances le deuxième album solo de Syd Barrett. Ce serait méconnaître le talent de Roky Erickson, et l'écrin parfait qu'il trouva en la présence des Texans. L'âge aidant, le vieil homme a su digérer ses expériences passées et sublimer ses malheurs en composant des morceaux imprégnés d'une foi stupéfiante. Sur ces 12 pistes de matériau original -une première pour l'homme depuis 14 ans, la présence du grand barbu céleste est prégnante. La dernière piste ne s'intitule pas "God Is Everywhere" pour rien. On y parle de blues, de justice, de nostalgie et surtout d'amour. Mais attention, d'amour pur et vrai ! "True Love Cast Out All Evil", ce n'est pas moi qui l'ai inventé. Roky semble plus que jamais à l'aise dans ses vieilles baskets usées. Ainsi sur "Please Judge", le chanteur semble se prendre lui-même comme sujet. "Please Judge don't take that boy away", comme s'il s'amendait avec humilité, plusieurs dizaines d'année après, pour ses folies passagères en implorant le juge (une métaphore pour Dieu ?) de faire acte de miséricorde. Touchante, "Think Of As One" l'est également. Ses paroles semblent anodines voire bébêtes : "your father is your father your mother is your mother / your sister is your sister, your brother is your brother/ one is one, another is another". Pourtant, elles prennent un sens émouvant une fois replacées dans le contexte d'un être tel Roky Erickson, que l'on sait souffrant de dissociation mentale. Un beau geste d'unité qui veut dire beaucoup... Son timbre de voix quant à lui est devenu unique, forgé par une vie pas banale lardée d'excès en tout genres, et Erickson démontre ici qu'il saisit parfaitement toutes les nuances de son grain. S'il ne crie plus comme à l'époque de son âge d'or, son chant éraillé est tout aussi puissant qu'alors, comme une force tranquille qui fait doucement son chemin jusqu'à notre pauvre petit cœur chamboulé.
Il convient de rendre également grâce à Okkervil River pour leur travail magnifique. Roky est certes le cerveau de l'album, mais on est en droit de douter qu'il eut parvenu à coucher tout ce matériau sur bandes audio en l'absence du groupe. Et le cas échéant, sans les arrangements pointilleux de Will Sheff et sa bande, nul doute que les douze chansons auraient perdu de leur superbe. Plus qu'une béquille, comme je le disais maladroitement plus haut, les Texans sont parvenus à s'harmoniser parfaitement avec le vieux loup de mer pour propulser ses morceaux vers les cieux, comme une douzaine de mini-symphonies rendant hommage à tout ce qui vit. Ouaip, tout ça.
L'album débute et s'achève sur deux chansons composées et enregistrées à l'époque du premier internement de Roky en hôpital psychiatrique*. Preuve finale que l'homme ne regrette rien et fait amende honorable d'une existence tumultueuse pour pouvoir aborder sereinement le temps qui lui reste. Un disque beau comme tout, probablement le meilleur de la carrière solo du bonhomme et sans aucun doute le plus important. "True Love Cast Out All Evil", donc. Si cette affirmation est véridique, alors le présent disque est bel et bien un chef-d'oeuvre de bonté. Cheers, Roky !
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs albums des années 2010
Créée
le 11 oct. 2013
Critique lue 107 fois
2 j'aime
1 commentaire
Du même critique
"Le plus connu des musiciens folk sixties dont personne n'aie jamais entendu parler." Ainsi s'exprime très justement un journaliste dans un article dédié à la mémoire de Jackson C. Frank, mort en...
Par
le 17 oct. 2013
68 j'aime
5
Cette citation n'est pas de moi, c'est Saitama lui-même, principal protagoniste et « héros » de One-Punch Man, qui la prononce après un énième gros vilain dûment tabassé d'un seul coup...
Par
le 5 janv. 2016
67 j'aime
38
On pourrait être tenté, à l'approche de la musique de Murmuüre, de ne parler que de Black Metal. On pourrait amener, à la simple écoute des guitares poisseuses et saturées ou bien des - rares -...
Par
le 30 sept. 2014
54 j'aime
5