C'était en 1995, et la décharge pop et électrique de I Should Coco allait marquer l'année, donnant un coup de fouet à une britpop qui risquait de s’enliser dans la rivalité entre Oasis et Blur, et plaçant la Grande Bretagne à nouveau au centre de la planète Rock. La suite de l'histoire de Supergrass n'allait pas toujours rester au même niveau, mais le groupe aura su garder jusqu'au bout une belle intégrité et une vraie fougue, une sorte de simplicité pop revigorante.
Lancé depuis 2010 dans une carrière solo qui attire, à tort, moins l'attention de ce côté du Channel, Gaz Coombes sort Turn The Car Around, son (déjà) quatrième album, qui, dans un genre bien différent de celui de Supergrass, pourrait bien être son meilleur (même s’il est possible de trouver World’s Strongest Man plus immédiatement accrocheur…). Un album qui devrait, s'il y avait une justice, confirmer sa place parmi les gens qui comptent vraiment dans la musique en 2023.
Sans surprise réelle, la trajectoire solo de Gaz marque une véritable maturité – il est déjà du mauvais côté de la quarantaine, après tout – qui le conduit à complexifier, à enrichir sa démarche musicale : il y a dans Turn The Car Around peu de morceaux qui évoquent directement la pop insouciante de Supergrass, même si le glam rock de Long Live the Strange réjouira les amateurs de chansons « immédiates ». Ce qui frappe par contre ici, c’est l’ambition de la construction des chansons, et de leur orchestration : on est plus du côté des grands disques d’un Bowie ou, pour citer un exemple plus contemporain, du travail d’un Radiohead (eux aussi originaires d’Oxford…) lorsqu’ils délaissent l’expérimentation pour parler plus franchement au cœur de leurs auditeurs : c’est dire le niveau où nous plaçons ce Turn The Car Around, d’ores et déjà l’un des grands disques de 2023.
L’album s’ouvre sur ce qui est paradoxalement l’un de ses titres les moins immédiatement impressionnants, Overnight Trains, introduction progressive à un univers de sensations qui exploseront pourtant de manière spectaculaire à la fin du morceau. Don’t Say It’s Over, et plus loin, This Love (avec des vocaux magnifiques !), sont deux ravissants coups de chapeau à la soul, dans un registre de fait moins habituel pour Gaz. On s’enthousiasmera particulièrement pour un Feel Loop (Lizard Dream) aux sonorités électro, au phrasé contemporain et à la guitare dissonante. Not The Only Things, d’une belle subtilité dans la manière dont se construit la montée émotionnelle, pourra devenir la chanson préférée de nombre d’entre nous. La conclusion de Dance On nous offre la traditionnelle balade finale, destinée à un inévitable décollage lyrique, qui cueillera les derniers – improbables – réticents.
Si Gaz Coombes est un chanteur accompli, ce n’est certainement pas le meilleur parolier britannique en activité. Pourtant, ses textes nous parlent de manière simple, directe, de choses universelles, pertinentes, ce qui reste quand même l’une des plus grandes forces de la musique populaire. De l’égarement – cette profonde incertitude dans laquelle a sombré notre époque, en particulier depuis la pandémie – (« Oh mother, oh mother / Nothing goes to plan / Well I wonder what youʼd make of it / So much change, so little fixed » "Oh mère, oh mère / Rien ne se passe comme prévu / Eh bien, je me demande ce que tu en ferais / Tant de changements, si peu de choses qui sont réglées" dans Turn the Car Around) à l’espoir (« To all my friends / to all the lost / Iʼve got this crazy dream of our utopia » "À tous mes amis / à tous ceux qui sont perdus / J'ai ce rêve fou de notre utopie" de Dance On), en passant par la vieille antienne Rock de la nécessité de sortir de la « masse » (« Long live the strange / Iʼm with you / So donʼt ever change / ‘cos I love you » "Vive les gens étranges / Je suis avec vous / Alors ne changez jamais / Parce que je vous aime" dans Long live the Strange), l'album balaie un riche spectre d'émotions.
Dans tous les cas, il est difficile de ne pas chanter les louanges d’un album aussi riche, aussi parfaitement abouti. Qui a tout d’un futur classique du Rock anglais. Chapeau bas !
[Critique écrite en 2023]
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