Ultramega OK
6.3
Ultramega OK

Album de Soundgarden (1988)

Le grunge était un foutoir sans nom. Du punk, du noise rock, du hard rock, de la pop et même du heavy metal passés au shaker. Ce n’était pas un genre, plus une attitude et surtout une origine géographique : Seattle. Une ville perdue dans la grisaille et qui accueillait tous ces rockeurs mal lunés en son sein. Ce groupe d’amis qui allait former une scène aussi unie par les liens fraternels que musicalement dispersée.


Mais avant que chaque formation phare prenne ses marques avec des affinités musicales particulières (ce qui coïncide avec le succès commercial), il y avait l’underground et… Pas grand-chose.


Des paumés fascinés par le Do It Yourself punk, le hardcore et la power pop d’Hüsker Dü, le metal boueux, lent des Melvins, la noise de Sonic Youth mais également le hard rock ancestral et tellurique des années 1970. Le lien entre tout ça ? Renouer avec un rock urgent, alors que le heavy metal de la même époque est en train de se perdre dans les clichés des guitars heroes et un lyrisme plus embarrassant qu’envoûtant. Cette démarche (et ce gros bordel) est parfaitement représentée par ce premier album de Soundgarden a.k.a. l’une des plus anciennes bandes du mouvement.


Ultramega OK nous remémore que le long chemin entre les premiers pas et la starification sur MTV fut long… Très long. Le grunge a cartonné au début des années 1990, alors qu’il était totalement anti-commercial dans les années 1980. Ceci est de la musique de déchets sociaux qui ont décidé de faire le rock le plus lourd, le plus crade et le plus ouvertement impertinent de son coin. On reste malgré tout plusieurs crans au-dessus des précurseurs Green River tant le talent embryonnaire du quatuor était musicalement bien meilleur.


Dès « Flower », les hostilités commencent. Kim Thayil délivre des riffs conventionnels en comparaison de ses futures interventions, mais loin d’être dénués de la moindre efficacité. Certains de ses soli sont néanmoins déjà empreints d’un goût pour le psychédélisme bruitiste (« All Your Lies » ou sur le doom metal « Beyond The Wheel »). Même si Chris Cornell n’est pas encore habité par ce professionnalisme qui fera sa marque de fabrique dans les 90s, c’est un chanteur magnétique. Ténébreux, tendu et bien entendu viril (poser torse nu, ça en jette toujours). Ce gars n’était pas dans le vent, puisqu’il n’avait rien à voir avec les heavy metalleux des 80s et leurs jérémiades. Son maitre à penser n’est autre que Robert Plant. Il était né pour être son successeur et il lui succédera.


Tout cela n’empêche pas ce disque d’être mal dégrossi et inconstant. La bande à Chrichri est surtout pleine de potentiel et c’est déjà beaucoup. Car s’il y a bien des types pouvant se réclamer d’être le lien entre Led Zeppelin et Black Sabbath, c’est bien eux… Même si leur humour foireux (les interludes et l’outro lo-fi sont un peu pénibles) démolit toute tentative de se construire une mystique. Peut-être qu’ils ne cherchaient pas à le faire.


Soundgarden vomit tout ce qu’il a dans les tripes sans réfléchir. Ça peut donner des résultats réjouissants (« He Didn't » et son riff d’intro troublant ou le frénétique « Head Injury ») comme de l’anecdotique (l’interminable stoner metal « Incessant Mace », le punk idiot de « Circle Of Power »). Ultramega OK est toutefois plein de charme car spontané, personnel et brillant par endroit. Une balise représentative d’un courant loin d’être majeur au départ mais qui va pourtant déferler sur le monde entier.


Le grunge, c’était décidément n’importe quoi. Seulement, ça s’annonçait excitant.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
6
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le 23 oct. 2015

Critique lue 403 fois

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Seijitsu

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