S’il faut dater le début de la fin, je remonterais à 1992, avril 1992.
Tous, je crois, avons en nous une date à partir de laquelle tout devient un sursis, sursis fabuleux ou sursis minable mais sursis quand même.
En 1992, une voix résonnait dans ma chambre, à la fois thérapie et noyade volontaire. C’était celle de Peter Gabriel.
6 ans après la sortie de So et du succès mérité des singles Sledgehammer et Don’t give up , le Gabriel revenait avec un album intimiste, toujours aussi sophistiqué et en grande partie consacré aux relations humaines.
De ce superbe album, fin et racé comme les costumes de scène de Brian Ferry, je me suis concentré sur une poignée de titres me semblant correspondre avec le moment présent. Il s’agit de Come talk to me , Love to be loved , Washing of the water , Digging in the dirt et Secret World . Même si la tonalité de ces morceaux n’est pas spécialement joyeuse, j’y suis revenu, entre un John Cale ou un Hedwig, sans doute grâce au chant direct de Gabriel, des mélodies subtiles et du jeu global des musiciens (avec Tony Levin en très grande forme pour ne citer que lui). Entouré de ses talentueux musiciens issus des horizons les plus différents, on n’est pas dans Real World pour rien, Peter Gabriel n’a qu’à se laisser aller, sortir un miroir de poche de son blouson et énoncer ce qu’il y voit.
Pour beaucoup l’aspect autobiographique de l’album a été un facteur dérangeant. C’est à mon avis, oublier la valeur universelle de thèmes comme La Séparation ou l’ Introspection. Les textes de cet album, par leur simplicité, touchent droit au but. Gabriel a abandonné le lourd symbolisme de Rael, ou encore les histoires tordues type The Intruder pour se glisser dans la peau du narrateur désamparé et à la recherche de soi même.
Ainsi, il y a tout d’abord le constat de la Séparation dans Secret World , l’émerveillement face à tous ces trésors déployés et perdus afin de garder l’autre à ses côtés.
Pas une once de regret. L’amour est là, il a existé, il perdure, sous une autre forme. L’espoir d’une reconciliation est là pourtant, à travers le très direct Come talk to me . Après tout, si Peter Gabriel dit que
"whatever fear invents, I swear it makes no sense"
C’est que, justement, cela a un sens et qu’il reste un espoir. Il suffit de le croire et cela deveint possible. Mais le plus souvent, revenir vers l’être aimé passe par un regard froid, lucide et intransigeant porté sur soi même. De façon plus qu’explicite, Digging in the dirt , par ailleurs un des singles les plus improbables de la part d’un artiste censé vendre des disques que je connaisse, ex-aequo avec le Numb de U2, tâche de fouiller dans lepassé, d’aller au delà des formes achevées des apparences afin de savoir de quelle matière est faite le sentiment qui nous habite. Musicalement, ce titre en particulier est un véritable manifeste de la Real World oeuvrant côte à côte avec la pop la plus exigeante et finalement la plus simple et directe.
L’homme qui dit :
"I caught a sight of my reflection
I caught it in the window
I saw the darkness in my heart
I saw the sign of my undoings
They had been there from the start"
ne semble plus avoir peur de rien, en tous cas plus de son ombre. Faire face devient une obligation, se dire la vérité à chaque instents, un sacerdoce.
Avec l’album US , Peter Gabriel endosse presque malgré lui le rôle du chantre du relationnel improbable, des couples en mal de sincérité …Car c’est sa voix et ses mots dont nous tous avons besoin pour croire que notre sursis aura finalement un sens différent de celui que lui donne le dictionnaire.
Pour la petite histoire …
1. C’est Sinead O’Connor qui accompagne Gabriel sur Come talk to me et sur Blood of Eden . Cette participation est une vraie réussite. Sa voix si particulière occupe l’arrière plan de ses morceaux et se marie admirablement avec la voix de Gabriel. A noter qu’en concert, elle fut remplacée par Paula Cole qui enchaînera par la suite un album solo.
2. Les clips et le design en général qui entoura la sortie de l’album sont une fois de plus remarquables. Mention spéciale à la pochette de l’album due à Malcom Garrett.
3. La tournée qui suivit la sortie de l’album offrait des versions nettement plus colorées et enjouées que sur l’album, avec deux grandes réussites Come talk to me et Secret World.
4. La chanson Blood of Eden apparaît de façon très pertinente dans le sous estimé Until the end of the world de Wim Wenders juste au moment où les vies de Sam et Claire sont suspendues au bon vouloir d’una vion dont le moteur vient juste de lâcher . Un moment où tout s’arrête, les causes et les conséquences inversées, les trahisons pardonnées …
Il est dit que :
"At my request you take me in
In that tenderness I am floating away
No certainty, nothing to rely on
Holding still for a moment
What a moment this is
Oh for a moment of forgetting
A moment of bliss."
5. Peter Gabriel est l’immense artiste dont on parle de temps en temps, à chaque sortie d’album, et que l’on oublie trop souvent. Prenez le temps de découvrir ses albums solos, à travers une compilation – Hits par exemple – ou à travers son dernier opus Scratch my back même si j’ai un faible prononcé pour PG 3 (1980), une espèce de faux frère du Scary Monsters de qui vous savez.
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