Évolution
Pas facile de se renouveler quand on explore à chaque album énormément de possibilités musicales. Néanmoins, je trouve que cet album-ci de Symphony X casse un peu la routine dans laquelle le groupe...
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le 22 août 2021
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Un long moment loin de la plume, où la motivation comme le courage finissent par éloigner l’esprit au large de ses aspirations premières, me voilà presque surpris à désirer la retrouver. Poussiéreuse certainement, mais intacte je l’espère, mon inspiration m’a fait choisir Symphony X, icône pour moi-même d’un sérieux et d’une concentration exemplaire dans le monde musical moderne, où l’on se permet de mélanger sans trop de limites les divers maîtres qui ont formé, guidé ou simplement regardé les jeunes pousses trouver la lumière et évoluer jusqu’à maturité pour arriver à un résultat qu’on ne connait que trop bien, pour notre grand plaisir de mélomanes, musicophiles, amateurs de toute sorte, bref, passionnés de l’art sonore. Il sera ardu pour moi de m’essayer à composer sur ce merveilleux opus qu’est V : The New Mythology Suite, car comme je l’ai dit, leur rigueur et leur qualité font que je les place très haut dans les talents de la composition, et à ce titre, même écrire un éloge est sujet d’inquiétude. Mais comme me l’a si bien expliqué un ami, ce travail doit avant tout rester un plaisir ; c’est pourquoi je choisis de me lancer, avec mes incertitudes et mes doutes, mes ambitions et mes espérances, et surtout mon désir de partager un peu à qui veut bien l’entendre de ce que j’ai pu ressentir à l’écoute de cet album exceptionnel.
Car d’exceptionnel, bien qu’on pourra juger ma vue troublée, je ne vois que ça, ici. Partis d’une idée autant innovatrice que prometteuse – mélanger la musique dite ‘classique’ et la puissance du métal, le groupe a prouvé à chaque nouvel album qu’un épanouissement et une maturité grandissante le possédait, au point de se tracer lui-même une autoroute de succès et de reconnaissance alors presque vide d’adversaires. C’est ainsi que le timide album homonyme (1994) aux allures de démo (déjà lourd d’idées travaillées), fait place l’année suivante à un second qui renforce un peu plus les acquis et témoigne d’une richesse de composition décidément époustouflante. (Et c’est aussi là que Sir Russell Allen entre en scène au chant, dont la puissance de voix écrasera n’importe quel sceptique) À ce moment le feu de l’avenir prend déjà, et les albums suivants ne font que confirmer l’ascension solide mais tellement méritée du groupe. Aussi, d’une part parce que ce fut le premier que j’ai écouté, et d’autre part parce que selon moi il clôt brillamment la première partie de l’âge du groupe (je décèle un tournant – où l’aspect progressif dépasse finalement le néoclassique – avec The Odyssey (2002) et qui se confirme sur tous les albums suivants), je m’arrête sur le présent album pour détailler mon écoute, en espérant avoir encore suffisamment d’épithètes pour ne pas trop me répéter.
The New Mythology Suite, c’est aussi l’un des rares albums du groupe à être structuré par une entrée ET une sortie épiques. Un Prelude, qui permet non seulement de poser une atmosphère grave et majestueuse grâce à une reprise du Requiem de Verdi, mais surtout de présenter l’agencement des pistes futures : la grande sortie finale est d’ores-et-déjà attendue, et la question s’installe en force quant à la présence ou non d’interludes. Si le côté néoclassique du groupe ne se révèle pas vraiment encore aux instruments, les chœurs annoncent cette marque typique qui faisait déjà ses preuves lors de précédents morceaux (en fait depuis leurs débuts), qui a le mérite de tenir en haleine quand les envolées instrumentales ne sont pas présentes, ou d’accompagner le solide chant de Russell pour le renforcer (ou le suivre quand il n’aurait pas besoin d’eux, notamment sur Fallen qui opère même les deux), ou même le laisser s’exprimer plus librement (lui aussi s’envolera parfois, comme à la fin d’Evolution par exemple).
La grande valeur de cet album semble être ce choix diablement efficace d’alterner l’agressivité des riffs et des passages symphoniques à des moments propices. Aussi, on retrouve d’un côté des morceaux forts (Evolution, The Bird-Serpent War, Absence of Light) qui posent le muscle avec un tempo rapide et une guitare envahissante, et de l’autre côté des transitions instrumentales propres et claires (Transcendance, On the Breath of Poseidon, Rediscovery Part I) qui calment toutes les ardeurs par un délice de rêves lointains (je parle de la Grèce, ou de l’un et l’autre côté du miroir…) ; au reste, on aura toujours droit à notre part de solos magiques : guitare, clavier, unisson ; c’est propre, travaillé, sans bavure ni excès fantaisiste : ce qui nous permet d’affirmer et d’admirer le talent technique de ces deux virtuoses.
On pourrait s’arrêter là. Croire que ce qui parait suffisant est la seule vérité (comme pour la Nature), et se poser comme des chats dans l’herbe douce. Sinon, pour ceux qui veulent (ou qui osent, Dieu sait comme c’est parfois très délicat), on peut s’attarder encore un peu et tendre l’oreille à défaut des yeux (mais l’esprit voit, c’est bien suffisant pour nos voyages). Je parle de pistes qui mixent, qui interprètent et qui orientent les atouts de l’album en lui-même vers un voyage initiatique en quête de mystique (là je me répète, oui : il y en a partout pour qui veut bien les voir, comme Matisse). Sur Fallen, d’abord : cet étrange instrumental où on étale des gammes comme des osselets dans les mains de l’un ou de l’autre, parfois ensemble, et finalement dépassés par la tournure que ça prend (« What have I done ? » où je reparle des chœurs). Et on se permet de garder seul celui qui écoute avec les odeurs (de l’outro de Fallen, puis Transcendance, et tous les Segue en somme) ; nous voilà repartis sur des terres lointaines avec Communion and the Oracle, mais presque connues pour les adeptes (si vous avez écouté l’indispensable chef-d’œuvre The Accolade deux albums auparavant qui lui ressemble – étrangement…), avec ce motif si prenant que l’on retrouve dans le premier interlude, mais plus tard également. C’est une piste pour piano principalement, qui révèle toute la douceur d’une exploration sans artifice, ni danger (à l’exception de la basse de Mike LePond qui cherche la liberté, mais qui ne la trouvera – remarquablement – que sur Egypt). On y retrouve ce qui nous rappelle un chez-nous reposant : des relâchements et des chœurs sans chaos. Ce sera la seule, pour montrer un peu que Symphony X maîtrise un côté plus doux et poétique, et elle s’éteindra comme elle est venue, prédisant avec justesse un futur incertain pour tous ceux qui l’écoutent, comme un Calchas hanté par un enjeu trop grand (ou pas assez). Avait-on prédit ce cataclysme naissant, qui sonne l’électrochoc après un temps de paix ? C’est l’Atlantide – thème principal de cet album-concept – qui s’effondre et on ne peut rien faire d’autre que regarder : elle appartient au passé et à l’océan (vous l’entendez d’ailleurs avec Cataclysm). Et comme après chaque tempête, le calme revient et les rayons du soleil franchissent à nouveau les nuages, jusqu’à faire d’une mer… un désert. Égypte.
Il est certains compositeurs qui parviennent avec une efficacité troublante non pas à faire comprendre à l’auditeur ce qu’ils ont voulu exprimer (quoiqu’on en retrouve partout a fortiori) mais à faire sentir avec justesse ce qu’ils désignent (comme par exemple Mustang, Kansas Storm, chacune de Buckethead, ou encore Cataclysm évoqué plus haut). Vous devriez alors à cette écoute d’Egypt percevoir toute la chaleur étouffante du soleil, la clarté du sable brûlant et le désespoir de l’infortuné trop loin de son oasis de fortune. Ce morceau est un four, et les chœurs n’en sont que les mirages de salvation. Au final, seule à lui venir en aide, la Mort réclame son moment de gloire, et les instruments font tout pour la contenter, par crainte certainement (le démarrage de l’orchestre au début de A Death of Balance, ainsi que cet aspect brusque et sec de la guitare un peu plus loin), mais aussi par un étrange désir incontrôlé, emplis d’une grande tristesse : Une Célébration au défunt : Lacrymosa. L’hommage au Requiem de Mozart, magistral, annonce alors le voyage sans retour de son âme vers l’au-delà… Mais qu’était-ce, au fond ? Voilà qu’une absence plonge les hommes loin de la lumière, là où le simulacre devra être déjoué. En attendant, la lourdeur orchestrée par Michael Romeo (à la guitare) repousse les limites du contrôlable. Russell s’y laissera prendre (Absence of Light, A Fool’s Paradise) et sa voix sera encore plus captivante, claire et puissante à la fois, jusqu’à ce qu’il s’incline devant le jeu virtuose de Michael Pinnella et Romeo offrant un unisson clavecin/guitare en révérence à Bach, qui clôt les variétés pour ouvrir sur le grand final de la dernière piste (et son introduction). J’en terminerai enfin avec elle, puisqu’il semble que je m’étire encore beaucoup (mais qui manque de temps…?).
Cette longue piste, qui aurait dû figurer en fermeture de l’album précédent si cela avait été possible, nous parvient finalement après un voyage initiatique de presque une heure. Comme sur The Damnation Game (1995), le groupe a choisi d’y apporter une brève introduction très douce avant de lancer le thème principal. Je n’en aurai en définitive que peu de choses à dire, car beaucoup a déjà été dit. La variation rythmique comme la succession des motifs font tout pour rendre l’aspect épique dominant, écartant d’abord la simple émotion ; puis, peu avant la moitié, on ressent un peu plus le côté ballade où le chant comme le piano permettent au corps de s’exprimer plus librement. Mais ça ne dure pas longtemps, la traversée n’ayant au final que bien peu de moments de paix. C’est je crois ce qui compose toute la ferveur de ces morceaux étirés: cette capacité de nous surprendre tantôt par un revirement de situation (douceur dans la tempête, ou l’inverse ; ou encore la relance de certains thèmes récurrents) tantôt par des cassures ou autres variations surprise qui permettent cette longueur de piste sans aucun trop-plein. Au final je crois même qu’il y en a tout juste assez, tant l’ensemble de l’album exige une fin digne de lui.
En conclusion, l’album jouit d’une composition irréprochable, tant sur les thèmes principaux que sur les ornements opérés ça-et-là (l’outro d’Egypt est un miel pur à consommer sans modération). On retrouve tous les éléments d’un bon album de progressive metal (solos endiablés, riffs accrocheurs, refrains mélodiques, variations rythmiques et techniques, ainsi qu’une batterie jouée par un retour en force de Jason Rullo, absent de l’album précédent) enrichi de toute l’influence classique de compositeurs de génie (Verdi, Mozart, Bach – et bien sûr et surtout les membres du groupe pour l’écriture et les arrangements de haute qualité) qui transmet à l’ensemble son caractère mystérieux empli de sagesse et de contes lointains. Au final, rien n’est superflu et rien ne semble manquer : je n’ai rien à redire quant à quoi que ce soit (d’où cette jolie note).
Cette critique maladroite prend fin. J’ai peiné à exprimer correctement toutes les émotions qui ont pu me traverser à l’écoute de cette petite merveille, et les détails plus techniques m’ont manqué, à défaut des adjectifs un peu trop élogieux diront certains (à raison). Le fait est qu’il m’apparaît difficile de bien tout expliquer, sans tout raccourcir par de simples aphorismes peu démonstratifs. Alors j’ai écrit sans vraiment savoir si le résultat serait satisfaisant ; au reste, c’est un excellent exercice pour travailler ma composition, en espérant que les prochaines critiques seront plus efficaces… Il faudra que j’apprenne à les réduire de moitié. Liberté oblige, je poursuivrai comme bon me semble, si vous me permettez (sinon tant pis, je ferai quand même).
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Voyager I. Intromentales : Des introductions éclatantes d'albums, Voyager II. Interlaces : Des transitions radieuses d'albums et Voyager III. Finales : Des conclusions fabuleuses d'albums
Créée
le 24 févr. 2017
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