Que no se puede, la Vida no vale Nada
"Aux sombres héros de l'amer
Qui ont su traverser les océans du vide
A la mémoire de nos frères
Dont les sanglots si longs faisaient couler l'acide "
Il y a des mots qui ont plus de poids que d'autres. Les quelques lignes juste au dessus ont tout simplement changé à jamais le visage et le destin de Noir Désir, jusque là petit groupe bordelais parmi d'autres devenant brutalement un phénomène national. Ces paroles sont tirées de "Aux sombres héros de l'amer". Textes obscurs, refrain en anglais, harmonica enlevé, mélodie aérienne, final en choral... cette "chanson de marins", comme on l'appelait à l'époque, est LE tube rock incontournable de l'année 1989, hantant les ondes de France et de Navarre jusqu'à plus soif.
"Always lost in the sea
Always lost in the sea"
De "Veuillez rendre l'âme (à qui elle appartient)", second album de Noir Désir, beaucoup n'ont retenu que ça. Les 4 bordelais dans le vent sont trimbalés d'émissions télé en showcase où on leur demande de jouer, encore et encore, la "chanson des héros de la mer" avant de dégager pour laisser la place aux suivants. Pourtant la bande à Cantat a des choses à dire et une intégrité artistique à défendre mais, quand on est coincé entre François Feldman et Mylène Farmer dans le top 50, c'est compliqué de conserver sa crédibilité. Alors le groupe prend une décision radicale : envoyer tout le monde se faire voir ailleurs. Noir Désir disparaît des plateaux télé, "Aux sombres héros de l'amer" disparaît des set-list des concert. Le public hurle son désespoir et réclame le single entendu sur NRJ.
La formation n'en démord pas, "Aux sombres héros de l'amer" ne sera plus jamais (a)live. Cette chanson a fait naître Noir Désir pour le grand public mais elle a aussi permis, à ses dépends, à l'état d'esprit Noir Dez de s'affirmer.
"Tout part toujours dans les flots
Au fond des nuits sereines Ne vois-tu rien venir ?
Les naufragés et leurs peines qui jetaient l'encre ici
Et arrêtaient d'écrire..."
Beaucoup n'ont entendu que ça. Pourtant derrière le navire amiral se cache un album d'une grande qualité qui vogue loin des accents maritime qu'on lui imagine. Des accents punk de "A l'arrière des Taxis" jusqu'à la douloureuse mélancolie de "Sweet Mary" on découvre un groupe d'une maturité musicale surprenante avec des ambiances uniques, des mélodies accrocheuses et une belle cohérence globale. Le malaise lancinant de "le fleuve" prend aux tripes, la dyptique dépressif "Joey I& II" confine au sublime, on se laisse entraîner par l'adrénaline de "La chaleur". Rapidement le disque reste en tête et une chose saute aux oreilles : réduire ce disque à "Aux sombres héros de l'amer" est une erreur monumentale. Les impressions de "Où veux-tu qu'je r'garde" sont ici confirmées : Noir Désir propose un rock franc et fiévreux, un rock qui ne renie pas ses racines anglo-saxonnes (notamment dans le post-punk) tout en proposant une identité française à travers l'écriture joueuse (on ne compte plus les jeux de mots et les double sens) des paroles.
La production, de son côté, rend plus justice aux compositions du groupe que sur le premier album. La batterie de Denis Barthe apporte du relief, la basse de Vidalenc s'exprime, la guitare de Teyssot-Gay se déchaine, la voix de Cantant perd ses accents juvéniles et gagne en chaleur avec son déraillement désormais caractéristique.
Avec ce second essai le quatuor propose un disque aussi court qu'entier. Chaque morceau est joué à fond, comme pour ne rien regretter, comme si c'était la dernière fois. A fleur de peau, Noir Désir l'est assurément. Alors que "Aux Sombres Héros de l'amer" meurt sur l'autel de l'intégrité l'album se conclue sur les notes effrénés et cathartiques de "The Wound". Un choix lucide et judicieux pour un groupe perpétuellement sincère avec sa musique. Noir Dez secoue le cocotier du Rock français dont les fruits tombaient souvent dans le panier de la variété. Cette histoire aurait pu être celle d'une bande de jeunes rencontrant la célébrité et les paillettes. Mais cette histoire est celle de musiciens écrivant l'histoire du Rock hexagonal, une histoire écrite avec les trippes.
"Allez enfouis-moi
Passe-moi par dessus tous les bords
Encore un effort
On sera de nouveau
Calmes et tranquilles
Calmes et tranquilles"
Voilà les paroles que certains n'ont pas su entendre, voilà les paroles qui comptaient vraiment. "Les écorchés", oui, définitivement.