Album perdu, inédit, oublié, d'un grand nom du jazz et du psyché brésilien (et donc de la MPB au sens large), le multi instrumentiste flûtiste de prédilection au look de père Noël des tropiques, Hermeto Pascoal.
Son nom ne vous parle pas, mais dans les années 60-70 il a une certaine notoriété outre-atlantique dans les cercles jazz, notamment grâce à l'admiration que lui voue un certain Miles Davis, qui le considère comme un des meilleurs musiciens de son temps, et qui l'invite sur son Live-Evil de 71 pour reprendre avec lui certaines des compos du brésilien, rien que ça.
Le reste de la discographie publié, riche et dense, recèle quelques pépites encore ici méconnues et qu'il me tarde de découvrir, mais cet album enregistré en 76 avec la fine fleur locale (dont certains n'ont jamais été recrédités depuis ailleurs et avaient par conséquent sombré dans un double oubli) est la merveille qui m'intéresse à présent. 4 titres, dont une face B monumentale de 26 minutes qui n'a rien à envier au Sun Ra de la grande époque.
On commence en douceur avec le swing tropical inaugural Dança do pajé, qui fait doucement monter la sauce et la température à coups de flûte malicieuse, de percussions, de cris tribau et de bruitages forestiers, puis on bascule dans le psyché / free jazz à la Don Cherry façon Brown Rice pour deux morceaux complètement frappés et moites où la forme éclate, et où ne subsistent que l'atmosphère et le groove, bestiaux. La forêt brésilienne exsude par tous les pores de ce jazz mutant, protéiforme et inventif, qui sait ménager des moments torrides comme des pauses langoureuses quasi bucoliques - imaginez déboucher sur une clairière où glissent quelques papillons colorés juste après avoir échappé à un fauve dans la pénombre luxuriante de la canopée.
Mais si l'ouverture reste peut-être le moment le plus brillant du disque par son efficacité et sa construction, la pièce de résistance que constitue l'étrangement nommée Casinha Pequenina (la toute petite maison) nous embarque pendant 26 minutes dans un free jazz fou furieux mais toujours léger et apollinien. Contrairement à certaines embardées obscures d'un Sun Ra, qui trop peu mélodique et axé cérébral nous perd en route, où à la boursouflure cathartique d'un Archie Shepp - qu'on apprécie tous deux pour des raisons qui leur sont propres - la formation menée par Hermeto guette le firmament et les astres, se vautre dans le soleil et l'eau fraîche, éclate les fruits tropicaux en enchaînant les soli rutilants. La flûte disparaît quelques temps au profit des claviers, des saxophones ou de la trompette, le batteur se cale un petit solo pas piqué des vers en fin de parcours mais rien ne semble forcé, tout coule comme de l'eau de source dans cette musique du pays qui par la libation et l'expression musicale libre s'évadait du carcan militariste de la dictature. Une oasis de fraîcheur, de sensualité et de jovialité à découvrir de toute urgence.