Viet Cong est pour moitié bâti sur les cendres sacrées et toujours fumantes de Women, dont Public Strain, leur second et ultime album paru en 2010, est un monument de noise mélodique et dissonant, et dont certains morceaux tels que «Heat Distraction» ou «Eyesore» restent impérissables. En effet, au bassiste Matt Flegel et au batteur Mike Wallace (autrement dit le squelette rythmique de feu Women) se sont annexés les guitaristes Scott Munro et Daniel Christiansen. Viet Cong glisse sur les mêmes pentes abruptes que Women, mais la parenté s’arrête là.
Le groupe puise ses ressources dans un fatras rugueux, dans des décombres sonores manifestement paranoïaques. Viet Cong est un puzzle grand format, dont les pièces s’assemblent sans accrocs malgré leurs disparités. La boussole s’affole et les morceaux prennent régulièrement des directions diamétralement opposées à leur point de départ. Mais le fracas se fait ici toujours avec élégance, et cohérence. Les voix s’effacent régulièrement pour étaler la violence instrumentale, ou pour au contraire établir l’apaisement, comme pour entamer une cicatrisation des plaies dues à l’acier des cordes tranchantes des guitares.
Car Viet Cong est essentiellement un album brutal. Le morceau introductif «Newspaper Spoons» en est l’illustration parfaite et formalise la jurisprudence sonique pour le reste de l’album : les fûts sur-saturés et les guitares stridentes sont la trame lunatique d’une ligne de chant ici énoncée telle une invocation. «March of Progress» fonctionne comme un triptyque métronomique, sa longue introduction martiale s’efface pour façonner un mantra aux guitares carillonnantes, suivi d’une sauvage troisième partie, impétueuse conclusion d’une écriture qui s’articule autour d’un esthétisme à haute teneur dramatique. Si l’on pouvait fixer la matière sonore de Viet Cong sur écran, le gros grain de la pellicule laisserait percevoir des dédales brumeux, des silhouettes tordues, de longs corridors faisant office de caisses de résonance, de hauts plafonds aux lustres aveuglants et prêts à sournoisement se foutre par terre.
«Bunker Buster» et «Continental Shelf» font office de centre névralgique, voire de nœud dramatique de l’album. Le premier morceau est hypnotique et étourdissant à souhait, lorsque le second demeure assurément la plus admirable source lumineuse du disque. L’album s’achève sur «Death», pièce de résistance d’un peu plus de 11 minutes et point final d’un album qui fait fi de toute cartographie. Ici, les morceaux sont joués très fort, en recherche constante de vitalité, voraces et implacables. Loin de tout asservissement, loin de tout simulacre.