Maxim Vengerov est l'un de ces virtuoses russes qui, auréolé de gloire, a parcouru le monde, tels les prodigues de jadis.
Il prouve tout son talent ici en s'attelant à deux très grands classiques du violon, le concerto n°1 de Bruch (1865) et le concerto n°2 de Mendelssohn (1844). De quoi lui donner un peu de challenge, tant les deux concertos offrent au violon des défis techniques. Surtout, les deux concertos et le virtuose du violon, ont ceci de commun : un goût prononcé pour le romantisme. On est ici au sommet de la musique allemande, du mouvement romantique, arrivé à pleine maturation.
Commençons par Bruch. Le premier mouvement, allegro, est un chef-d'oeuvre, le plus connu du compositeur allemand, pourtant l'un des plus prolifiques de son temps. Tout ici est romantique, mais mélange la rhapsodie, le violon folklorique et la noble ampleur de l'orchestre. Le morceau ainsi oscille entre la gigue du violon, virtuose, sautillante, et la splendeur de l'orchestre. Il se dégage de l'ensemble une forme de nostalgie car si le violon danse, il danse comme danserait un homme endeuillé, qui, tenant dans ses bras le corps fantomatique de sa défunte épouse, se remémore les valses de jadis et les promesses d'autrefois. Et ce sentiment est exacerbé par un moment d'une rare intensité. Tout alors bascule, la peau frissonne, on sait que l'on va écouter quelque chose de grand : le violon se démène, jusqu'à noyer l'auditeur de notes, sombre et puissant, dédoublement de cordes, trilles et modulations, et monte inexorablement vers un tutti où l'orchestre, pleine vitesse, pleine puissance, déchaine la tempête. Bruch est romantique, Vengerov, âme russe, le dit si bien. Puis l'orchestre, bascule dans une valse, aussi sombre que déterminée, à grand renfort de cuivres majestueux. Enfin, tout replonge dans la torpeur mélancolique, la tempête est passée, la tristesse revient... Cette oeuvre dépasse largement le simple violon, elle offre des moments d'une rare beauté pour tout l'orchestre.
Le second morceau est un adagio d'une profonde mélancolie. Le violon ne se soucie plus ici de technique, mais simplement de la beauté. On savoure la lenteur du morceau qui décline, dans une alternance entre violon et vents, l'amour de la nostalgie. Au milieu du morceau, tout s'éteint, avant de renaitre avec la splendeur du phénix. L'orchestre, à l'unisson, là encore, jaillit avec tendresse. Puis s'ensuit un lent crescendo, puissant et déterminé. Le troisième morceau Allegro Energico est une danse, véritablement, rythmée par les toccata des cordes. Le violon de Vengerov est ici presque riant, splendide. La nostalgie, la tempête sont loin. Bruch laisse la place à la plus pure virtuosité, toujours plus puissante et enlevée.
Le second concerto, celui de Mendellsohn est tout aussi célèbre. L'Allegro Molto offre tout de suite son splendide thème au violon, répété par l'orchestre, qui ici a une part très importante, développé aussi bien par les bois, les cordes, les cuivres. Le thème est très souvent repris au cinéma parce qu'il figure si bien la noblesse et l'esprit chevaleresque. L'andante, comme chez Bruch, offre ici plus de douceur, de tristesse mais sûrement plus de puissance orchestrale et plus encore de challenge technique, avec le violon qui joue deux notes à la fois. L'allegretto final offre aussi une danse joyeuse et délirante.
Les deux oeuvres ont des structures comparables (triple mouvement fonctionnant sur les mêmes effets), tout s'y fait écho, la danse et le désespoir, la virtuosité ahurissante (le violon glisse de notes en notes avec une facilité et une vitesse démentes), et trouvent chez Vengerov l'expression la plus romantique qui soit. Mais ce n'est pas l'étourdissement technique qui nous fascine, c'est la somme de ces petits moments musicaux, ça et là, disséminés dans ce flot virtuose de musique, qui touchent jusqu'au plus profond du coeur et qui semblent épouser la forme des sentiments.