Hey ! Vous connaissez le Billy de Soho ? Non ? Cette boîte de nuit où un certain DJ Rusty Egan mélangeait dans sa playlist le Bowie de Berlin avec Moroder, Kraftwerk, Human League pour l’événement hebdomadaire « A Club For Heroes » ! Ces soirées sont un tel succès que le Billy déménage vite à Covent Garden, s'agrandit et devient le Blitz en 79. Ah, ça ça vous dit quelque chose !? Et on y trouve du joli monde ! Boy George y travaille dans les vestiaires, Billy Currie et Robin Simon, ex membres d’Ultra-Vox, viennent y noyer leurs chagrins, rêvant de développer une scène qui mélangerait musique électronique avec la romance du Cinéma et de l'Europe, et surtout, Steve Strange, le colocataire de Rusty Egan, alors portier du club.
Celui-ci s'occupe de virer la racaille (même un Mick Jagger bourré se verra refuser l'entrée), préserver une certaine ambiance élitiste (si tes vêtements n'étaient pas assez fantasques, tu dégageais) tout en définissant le style de ses participants : un mélange androgyne de futurisme et de rétro ; chapeau boléro, galon en or, veste de soldat, ceinture russe, coupe géométrique, plus on est de fous… La Scène Blitz naît en réaction au Punk, signe le retour de la Pop culture à l'évasion, évasion du travail après 17h pour vivre ses fantaisies en s'habillant de manière colorée. Plus qu'un style donc, un mode de vie mais aussi un son particulier.
Le groupe Visage a été formé en 78 par Steve Strange (chant) et Rusty Egan (batterie). Ils reprennent d'abord avec Midge Ure (ex-Rich Kids, guitare et clavier) « In The Year 2525 » des one-hit-wonder Zager et Evans. Puis ils piochent dans les membres du Blitz pour compléter leur formation : Billy Currie, ex d’Ultra-Vox (clavier, violon), trois ex du groupe Magazine ; Dave Formula (clavier), John McGeoch (guitariste) et Barry Adamson (bassiste). Ils forment en quelque sorte une confédération de punks ratés qui se donnent une seconde chance pour devenir stars. L'éternel Martin Rushent les repère et les fait signer à Radar Records, le label d'un ami. Leur premier single « Tar » ne rencontre pas les chart et Radar met vite fin à leur contrat. Grand mal leur fasse car le single suivant « Fade to Grey » est leur plus grand tube et sera signé, comme l'album éponyme, chez Polydor.
Il y aurait beaucoup à dire sur ce tube, rentrant dans les charts partout dans le monde, numéro 1 en Allemagne et en Suisse. J'ai toujours pensé que la voix française avait été samplé d'un film avec Brigitte Bardot mais il s'agit en réalité de la petite copine belge de Rusty Egan à l'époque. Si le style vestimentaire du groupe est coloré, le morceau et la voix de Strange dégagent une sorte de mélancolie bizarre, presque funéraire. L'Arp Odyssey produit une séquence de bass qui définira la touche même de la Synthpop. Le clip, minimaliste, est un des premiers dirigés par Godley & Creme, ex-10 cc qui réaliseront par la suite quelques unes des meilleures vidéos des années 80. On y retrouve un côté expressionnisme allemand, également présent sur la pochette de l'album.
Et que vaut-il ce premier album au final ? Et bien, on ne peut être que déçus si on s'attend à retrouver des « Fade To Grey » dessus, qui restera un titre totalement atypique dans leur discographie. Le succès des singles suivants seront d'ailleurs moins conséquents. Ce n'est pas que « Mind of Toy » est raté par exemple, mais il marque moins et démontre une certaine flemme dans le mixage, l'instrumentation sonnant presque vide. Un amateurisme que l'on retrouve sur une bonne partie des titres (« Blocks On Blocks », « Tar », « Visa-age », pour ne citer que les plus flagrants…)
« Visage » qui ouvre l'album est déjà mieux, par son utilisation de la guitare et son envie de donner une introduction épique au groupe. On retrouvera une énergie similaire sur l'instrumentale « The Dancer » et son synthé-kazoo ou sur « Malpaso Man » et sa boite à rythme furieuse. « Moon Over Moscow » nous rappelle que leurs influences sont dirigées vers l'Est et « The Steps » qui conclut l'album tente de l'ambiance à la “Low” de Bowie/Eno.
Bilan, on ne peut pas passer à côté de cet album fondateur du mouvement « Nouveaux Romantiques », qui comporte son lot de défauts et une patte amatrice évidente, récurrence de ces premiers albums post-punks, avant que la production soit totalement maîtrisée. Cela ne lui donne qu'un grain plus particulier et admirable. Pleins d'idées, passant de la gratte au synthé entre autres multiples instruments, oscillant entre noirceur et candeur, « Visage » est intéressant, intriguant, à défaut d'être totalement réussi.