Voix
7.1
Voix

Album de Aluk Todolo (2016)

Un rugissement gronde. C'est toute la caverne qui tremble, vibre, menace de s'effondrer sur elle-même.


BOUM – BOUM BOUM... BOUM – BOUM BOUM


Un cœur gargantuesque se met en branle, tambourine dans un poitrail phénoménal, syncope et trébuche puissamment. Les griffes raclent furieusement contre la roche, une tête massive se cogne frénétiquement, désespérément sur un plafond qui s'effrite sous les impacts répétés. La Bête vient de s'éveiller de son sommeil millénaire et elle sera bientôt libre.


BOUM – BOUM BOUM... BOUM – BOUM BOUM


Pas le temps de s'arrêter, le temps lui est compté. La Créature perce sa prison de pierre avec un hurlement qui glace les villages alentours. La panique fait rage. Les villageois connaissent la légende, ils savent qu'il ne restera bientôt plus que décombres autour d'eux, que la Bête sera implacable, sa progression fulgurante inexorable... pendant 43 minutes et pas une de plus.


Un peu de compassion pour ces frêles paysans car ils symbolisent ici nos tympans. Eux ne sont pas préparés à ce qui les attend. Le power trio français d'Aluk Todolo est censé verser dans un noise-rock basé sur la répétition et dont la lourdeur du son trahit fortement un passif de métalleux semi-repentants. Sauf que dans les faits, c'est un véritable monstre inclassable qu'ils viennent de pondre avec Voix, album-marathon (ironiquement instrumental) en forme d'une invocation rituelle qui aurait tourné à l'aigre : la créature est complètement hors de contrôle. La musique d'Aluk Todolo se débat éperdument, sans marquer de pause au gré de ses morceaux, comme pour perdurer le plus longtemps possible, continuer à exister malgré l'approche de l'inéluctable ; persister le plus violemment qu'elle le pourra avant sa fin programmée. Imaginez Sunn O))), célèbre formation occulte de drone-metal et ses gigantesques distorsions qui évoquent la respiration grondante d'un colossal léviathan endormi au fond d'une abysse. Et bien dites vous que Voix c'est un peu le léviathan qui se réveille brièvement et saccage tout sur son passage. Parce qu'il n'a pas le choix, parce que son cœur – la batterie increvable d'Antoine Hadjioannou et la basse persistante de Matthieu Canaguier – bat à tout rompre et menace de s'arrêter à nouveau (imaginez cette fois le film Hyper Tension où Jason Statham doit garder son niveau d'adrénaline élevé sous peine de crever). Pour interpréter le rugissement furieux et meurtri de la Bête, la guitare écumante d'un Shantidas Riedacker qu'on imagine transi, la bave aux lèvres, battre convulsivement l'enclume en acier trempé que forme l'inébranlable section rythmique à ses côtés ; insuffler une vie et une nuance à la matière brute et grise qui lui est présentée... en bref tailler le monolithe.


C'est une véritable course d'endurance qui s'est mise en branle dès les première seconde, de la part d'un trio qui semble chercher à aller toujours plus loin, frapper toujours plus fort sans jamais reprendre son souffle – c'est à peine s'ils s'autorisent à ralentir un peu la cadence par moments ; s'ils le font c'est toujours pour repartir de plus belle. Voix est à prendre en un seul bloc – n'envisagez même pas de l'écouter en deux fois malheureux – et à ce titre la séparation en « pistes » est totalement illusoire. Mais le trio en a bien conscience ; en guise de titres les 6 morceaux de l'album sont nommés rapport à leur durée. « 8:18 », « 7:54 », « 9:29 »... décompte inflexible et angoissant, qui annonce aussi bien l'espérance de vie de la Bête que le temps qu'il reste à ses victimes pour survivre à son assaut.


Voilà, Voix est un disque éprouvant. Mais au delà d'un vain défi d'endurance, Aluk Todolo propose nous propose avant tout de suer avec eux, de nous faire ressentir viscéralement l'urgence de ce qu'ils sont en train de tisser devant nos oreilles ébahies. De nous placer au cœur de la Bête si bien qu'on finit par éprouver une douloureuse empathie pour la créature qui se débat avec la force du désespoir, pour grappiller ne serait-ce qu'un instant d'existence supplémentaire avant de sombrer.


Et ça, c'est très fort.

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le 3 mars 2016

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T. Wazoo

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