-Tu biaises, tu fais semblant, tu joues avec les mots ... - Non, je joue avec mes maux.
Je connais dans une boîte de Soho
Une nommée Pamela Popo
Une de ces p'tites nanas dont la peau
Est plus noire qu'un conte d'Edgar Poe.
D'abord, d'abord, il y a la pochette - comme une première provocation. Au centre, une petite photo d'identité de Gainsbourg, en médaillon, de face, entourée par une dizaine de photos de singes; on songe à Pépée, la chanson hommage de Léo Ferré à sa chimpanzé morte, et aux paroles assez cruelles et très gratuites :
"T'avais les oreilles de Gainsbourg / mais toi t'avais pas besoin d'scotch pour les r'coller la nuit / tandis que lui / ben oui."
Vu de l'extérieur s'inscrit dans la plus grande période de Gainsbourg, celle des quatre grands albums concepts, après Melody Nelson, avant Rock around the bunker et l'extraordinaire Homme à tête de chou - qu'il préfigure en quelque sorte.
Mais Vu de l'extérieur n' a pas remporté le succès des autres albums; il se serait même traduit par un gros échec (20 000 exemplaires vendus) sans le gros succès de sa chanson phare (d'ailleurs écrite bien plus tard), "Je suis venu te dire que je m'en vais". On y reviendra. Vu de l'extérieur n'est même pas toujours tenu pour un véritable album/concept mais comme la juxtaposition d'une dizaine de chansons. Certes, il ne s'agit pas d'un récit, évoluant de plage en plage comme Melody ou l'Homme à tête de chou, mais son unité est évidente : elle ne porte d'ailleurs pas directement sur le physique de Gainsbourg, mais sur la relation, sans doute consécutive, avec les femmes : abandon, tromperie, fuite - l'homme est quitté, plaqué (Par hasard et pas rasé, Des vents des pets des poums) ou au contraire c'est lui qui part, comme dans Je suis venu te dire que je m'en vais ou encore dans Sensuelle et sans suite où il évoque même son physique de façon "positive" ("elles en pincent toutes pour ma pomme cuite") : " crac! j'prends la fille / et puis pftt j'prends la fuite".
Surtout le disque baigne dans une ambiance constamment scatologique, presque régressive. Les titres des chansons sont vertigineux : Pamela Popo, Panpan cucul, Titicaca, l'Hippopodame, la poupée qui fait (pipi), Des vents des pets des poums ... La chanson titre, qui,semble échapper à cette thématique, "Vu de l'extérieur" ouvre des perspectives encore plus abyssales quand on prend soin d'écouter les paroles : "Qu'est-ce qui m'a pris de m'aventurer à l'intérieur ...?
C'est sans doute cette tendance qui explique en grande partie l'échec du disque. Seul donc le titre "Je suis venu te dire que je m'en vais" échappe au désastre et remporte même un énorme succès. Cela dit, avec cette chanson, Gainsbourg ne fait que reprendre sans grand risque une recette éprouvée, garantie certaine de tube - Verlaine (avec l'adaptation très proche d'un de ses poèmes les plus célèbres) après la même expérience avec Baudelaire et la Chanson de Prévert. On y ajoute une intervention mélodramatique de Jane (après Melody Nelson), ici des larmes, et le tour est joué. Le plus intéressant du disque n'est sans doute pas là.
C'est aussi l'époque du premier, et de l'unique roman de Gainsbourg, Evgueni Sokolov - l'histoire tragique d'un immense artiste, peintre évidemment, pétomane invétéré, mort à la façon de Piccoli dans la Grande bouffe. "Une histoire atroce, écrite dans le langage le plus classique", Gainsbourg dixit. Il y a là sans doute une clé. La réalité la plus triviale, la plus intime, celle qui touche au plus profond, de sa propre identité à sa relation avec les autres, la plus noire, doit toujours être présentée sous la forme la plus élaborée, la plus magnifiée. Ainsi des sublimes accords délivrés par Alan Parker, immense arrangeur et guitariste de studio, tout au long de Pamela Popo et de son texte graveleux.
... Elle retire d'abord
Un maillot de corps
Sur lequel est marqué Pamela Popo en lettres d'or
Puis sans un mot
Elle esquisse le slow ...
Le texte même, tout au long de l'album, est plus que travaillé. Toute une chanson construite sur des rimes en "ite" (Sensuelle et sans suite), une autre sur des rimes en "oum" (Des vents des pets ...), et quelles rimes (groom, simoun, Cameroun, balles doum doum ...), un usage quasi breveté des onomatopées et des anglicismes. Et ce jeu permanent, sur les mots, les sonorités, qui finit même par prendre le pas sur le texte : le désespoir, le plus noir, s'exprime toujours par la musique et par les mots. Ainsi de l'instant où l'homme découvre sa femme occupée avec "le genre de mec qui les tombe toutes" (Par hasard et pas rasé). Les mots jouent avec les mots, assonances, allitérations, retours en boucle, comme plus tard dans l'Homme à tête de chou :
PAR HAsard et PAS RAsé
j'RApplique chez elle et sur qui j'TOMBE
comme PAR HAsard
un PARA
le genre de mec qui les TOMBE toutes .
Tout le disque est à l'avenant - entre classe et crasse, entre sophistication extrême et provocation épaisse, entre dérision (vaine) et désespoir insondable. Et reviennent les accords de Pamela Popo ...
Pamela Popo les lolos
A l'air
S'met à soupirer Oh oh
oh oh oh oh
Pamela Popo
Il a beau tenter de s'échapper, d'esquiver - Tout Gainsbourg est là.