Une sirène retentissant dans la nuit.


Une pochette arborant une route seulement éclairée par les néons d’une citée urbaine visiblement abandonnée.


Voilà de quelle façon débute la carrière du groupe le plus sous-estimé du post-punk Anglais.


Car les faits sont là : presque 30 ans après la sortie de leur premier album, les Comsat Angels n’ont pas eu droit à une réhabilitation massive comme ce fut le cas pour The Sound ou The Chameleons (autres bandes ayant vécues dans l’ombre de leurs contemporains durant les années 1980). Même les récentes rééditions de leurs premiers disques n’ont pas ému plus que ça les critiques les plus en vues de la planète rock. Pourquoi donc ? Parce que ces gens de Sheffield n’ont pas eu la bonne idée de s’arrêter à temps et que leur destin ne s’est pas scellé d’une manière sordide à l’image de celui d’Adrian Borland.


Cela n’empêche pas que ces braves petits gars ont su proposer une discographie diablement intéressante et plusieurs sorties pouvant figurer dans le meilleur de ce qu’on appela jadis "la musique de l’après punk".
Punk, les Anges de Satcom le sont. La technique des musiciens étant rudimentaire et Stephen Fellows n’est pas (encore) un grand chanteur. Mais comme toutes les meilleures formations de post-punk, ces modestes origines musicales vont leur permettre de se montrer beaucoup plus inventifs que les têtes de gondole du punk rock. Alors plutôt que de miser sur une image de rebelles vite éventé (le punk étant rapidement devenu une grosse farce et leurs premiers représentants s’en étaient déjà détournés) et une vaine rapidité, ils vont faire une musique plus réfléchie, plus atmosphérique et inévitablement plus profonde.


Néanmoins, Waiting for a Miracle n’est pas aussi avant-gardiste que leurs futures œuvres. L’écriture étant finalement très pop. C’est ce qui rend ce disque accessible et carré, au point qu’il permet de se rendre compte de la qualité du songwriting de Stephen Fellows. Il y a du Beatles dans les chœurs à base de "talk, talk, talk" sur le pourtant inquiétant "Baby". On peut même dire que le Ultravox de John Foxx n’est pas loin non plus avec cette ambition de faire une musique à l’esprit pop et attirée par une originalité oblique typique de cette époque.


Parce que l’autre force d’un tel album, c’est d’être un excellent condensé de la musique du début des années 1980. Si les chansons sont d’un classicisme rassurant, elles sont arrangées avec des idées étonnantes. Les guitares assumant désormais leur rôle d’outils d’atmosphériques au point d’être à l’opposé de ce qu’elles ont souvent été dans les 70s (un instrument de virtuose et/ou de bourrin macho qui a fait les heures de gloire du prog et du hard rock). La sirène qu’on entend sur le premier titre n’étant pas un quelconque bruitage, mais bien la gratte de Fellows… Une guitare qui s’efface même derrière la batterie et surtout la basse qui deviendra l’instrument le plus important des 80s. Enfin, l’autre particularité de ce disque est ce clavier ressemblant beaucoup à un orgue. Ce qui, à ce sujet, renforce sa singularité au sein de l’histoire des Comsat Angels puisqu’on ne l’entendra plus jamais par la suite.


Au final, ces débuts sont plus ambitieux qu’ils en ont l’air à première vue. Il ne s’agit pas que d’un alignement de chansons très bien écrites, à l’exception de "Monkey Pilot" (unique raté à cause de ce qui fait la personnalité de cet album : son clavier devenu horriblement sautillant et niais le temps de quelques minutes), mais également d’une suite de morceaux aux idées déroutantes particulièrement bien trouvées. Une originalité proche d’un Pere Ubu ou d’un Magazine, ce qui n’est pas étonnant car le nom de ce quatuor est tiré d’une nouvelle de James Graham Ballard. On est arty ou on ne l’est pas.


Malheureusement, malgré la maturité de cette sortie (enregistrée en peu de temps d’après Stephen Fellows grâce à une organisation quasi-militaire, puisque tout le disque était déjà bien ancré dans la tête de ses compositeurs), les ventes seront très faibles. Ce qui parait inconcevable à l’écoute du single "Independence Day" tant ce morceau a tout pour être un incroyable hit (refrain puissant et inoubliable, des paroles au double sens politique particulièrement bien écrites). Le très power pop "Real Story" aurait pu aussi faire des ravages dans les tops et le ténébreux "Postcard" donnera des idées à The Edge avec sa guitare pré-shoegaze (pour rappel, le premier U2 n’était pas encore paru !).


En plus de leur grand talent, on peut également saluer la malheureuse prescience des Comsat Angels : rien que l’intitulé de Waiting for a Miracle décrit à merveille leur carrière. Le miracle n’étant, effectivement, jamais arrivé.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 16 juil. 2017

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