On dit que le temps efface les souvenirs, les images, les sourires sur les visages. Qu’il suffit parfois d’un regard vers le passé pour que tout s’effondre et que le sens de nos vies, de nos existences, se perde dans les tourments de nos blessures, des fractures présentes et de nos craintes pour le futur. Regarder vers l’avenir n’est pas chose aisée, surtout lorsque les horizons s’obscurcissent. S’il conserve sa part de noirceur, son cynisme et sa douce ironie, le sourire arboré et partagé aujourd’hui par Thom Yorke, Jonny Greenwood et Tom Skinner fait plaisir à voir, et surtout à entendre. Tout d’abord, peut-être, car il n’a jamais semblé si harmonieux, si lumineux, si rayonnant. Si détendu aussi. Détendu car la formation semble avoir pris ici la décision de focaliser son esprit sur l’instant, l’expression et la capture des émotions. Le flux d’informations et le passage du temps deviendraient alors presque dérisoires, un peu comme dans le clip signé par Paul Thomas Anderson pour le morceau-titre au charme vénéneux, ce fameux Wall Of Eyes qui nous offre, justement, un nouveau regard sur The Smile moins de deux ans après la parution du premier disque. Et si certaines choses ont changé, force est de constater, tel un doux euphémisme, que nous sommes pourtant là face à son digne successeur.
D’une production plus directe, centrée sur l’espace de la pièce et sur l’interaction entre ses protagonistes, l’orientation du disque pourrait surprendre, décontenancer tant on connaît l’appétence de ces musiciens pour les fioritures et possibilités du studio. Mais on ne se refait pas comme ça. Moins ciselée et détaillée que sous l’égide de Nigel Godrich, la production de Sam Petts-Davies – fidèle assistant à qui l’on devait déjà le Suspiria de Thom Yorke – conserve l’ingéniosité des couches sonores et des montages parallèles de son maître tout en l’associant à une dimension frontale, plus directe et affirmée, formant ainsi une unité sonore qui ne fait pas défaut à l’ensemble puisque toujours orientée vers cette idée de symbiose et d’équilibre. Dans les faits, l’un des aspects les plus nouveaux du disque se situe peut-être dans la façon dont le trio semble se resserrer ici autour du binôme Yorke / Greenwood, délaissant étrangement les subtilités du jeu de Tom Skinner, un peu plus perdu dans le mix, et surtout cantonné plus que dans le précédent effort à un rôle d’accompagnateur, du moins dans sa fonction de batteur. Un mal pour un bien pour des musiciens qui, sans tout à fait se réinventer à chaque disque ou projet, semblent bien avoir atteint ici un point qui leur assure une plénitude musicale d’une rare richesse tout en fuyant les zones de confort pour continuer d’explorer, entre évidence et radicalité, l’étendue des mondes qu’ils ont bâti ou visité.
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