Watch Me Fall
7.6
Watch Me Fall

Album de Jay Reatard (2009)

On a beaucoup parlé du retour du rock au début des années 2000, sous la houlette des fameux "sauveurs du rock", les Strokes. Mais beaucoup moins de ce qui s'est passé après...
Mais revenons d'abord au commencement. Au début de la dernière décennie, le rock des Stooges, du Velvet, des Ramones ou de Television revenait en force et redonnait un style, un son et une esthétique à ce come-back, que vous l'aimiez ou pas. Les Converses, les slims troués, les cheveux longs, les poses de rock stars, tout ça est redevenu à la mode en un clin d'oeil...
Au niveau sonique la violence du garage et des punks, qu'ils soient Anglais ou Américains, revenaient également sur le devant la scène: merci donc aux White Stripes, aux Hives, aux Libertines, aux Vines même: tout cela n'aurait pas été possible sans eux. Et puis comme tout mouvement rock'n'rollesque, le truc s'est effrité.
Les Libertines n'auront pas survécus aux relations d'amour-haine entre Barat et Doherty, ils ont été les premiers à succomber. Craig Nicholls s'est révélé atteint du syndrome Asperger, et son groupe alterna par la suite coupures, coups de génies et chansons clinquantes et grotesques. Les White Stripes sont séparés depuis bientôt un an, alors qu'il se faisaient de plus en plus rare depuis la deuxième moitié des années 2000. Les Hives n'ont rien publiés depuis 2007. Et les Strokes, quasi-séparés, ont finalement sortis leur 4ème album tant attendu : un disque fatigué et à cours d'idées.
Bref vous l'aurez compris, cette génération est belle et bien morte. Enterrée. Finit.


Que nous a-t-elle donc laissée cette vague rock au final? Hé bien peut-être une tripotée de groupes qui n'ont pas voulu s'arrêter en si bon chemin et qui ont continués à creuser le sillon du retour du rock, tout en se forgeant leur propre identité, complexe et multiple. Moins célèbres, moins "commerciaux", plus intransigeants, plus Lo-fi et plus bordéliques: les groupes qui ont suivis ont en tout cas fait honneur à la cause rock'n'roll.


Cette nouvelle génération a d'ores et déjà un héros. Que dis-je, un martyre: Jay Reatard, sacrifié sur l'autel de ses idéaux rock, fauché en pleine gloire par un cocktail mortel d'alcool et de cocaïne.
Car c'était lui le vrai détonateur: celui qui publiait 10000 chansons à un rythme frénétique, sous différents pseudos, sous différentes formations, en EP's, 45's, albums, en solo ou en groupe...
Il fut un guide et une modèle dans sa manière de faire. Et puis dans sa manière d'être: le garçon ne partait de rien, élevé dans une famille brisée qui vivait dans la pauvreté la plus totale. Sur scène, Jay expulsait furieusement toute cette frustration emmagasinée au cours d'une existence rocambolesque. Déchaîné, il ne laissait aucun répit au public, les attrapant à la gorge et ne lâchant prise qu'une fois le travail terminé. L'éthique punk et "Do It Yourself" reprenait alors tout son sens.
Enfin, surtout, Jay Reatard était certainement le seul rejeton dont les Buzzcocks pouvaient être fiers. L'artiste incorporait dans sa musique la pop 60's avec un sens du refrain incroyable, qu'il fusionnait allègrement avec des rythmes et un chant punk, une hargne garage, et cette formule mélodique que seuls ces satanés Buzzcocks connaissaient, et qui avait été développé par des gens comme les Pixies ou Supergrass.
Il fut l'auteur d'un nombre incalculable de chansons invraisemblables, disséminés principalement sur 3 albums solos fournis (dont une compilation de singles): Blood Vision, Matador Singles '08 (recommandés également très chaudement, surtout les Matador Singles) et donc ce Watch Me Fall. On ne saurait que conseiller la crève-coeur et prophétique "It Ain't Gonna Save Me", qui donne à elle seule une idée de l'ampleur de ce album.


Sa mort fut donc une perte incroyable, d'autant que la trajectoire pop qu'il prenait laissait augurer des jours radieux. Tant pis : Jay Reatard était bel et bien fulgurant.


Un documentaire - le très recommandable Better Than Something - est sortit sur l'artiste cette année même. Autant dire que Jay Reatard, c'est déjà de l'histoire.

Rafael_S

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