A votre avis, quels sont les points communs entre Joe Zawinul et Wayne Shorter ?
Ils sont multiples : un même goût pour un jazz aventureux qui sort des sentiers battus, le fait d'avoir tous deux participé aux sessions du mythique In a silent way de Miles Davis et bien sûr la création ensemble du groupe Weather Report, en cela grandement influencé par les recherches musicales de Davis au moment où il entrouvre la porte du jazz-rock alors inédite partout ailleurs.
Le 18 février 1969, Davis et tous ces compères enregistrent deux pistes magiques, Shhh/peaceful et In a silent way/it's about that time. Parmi les trois clavieristes engagés, outre les pointures que sont Hancock et Chick Corea, il y a l'autrichien Joe Zawinul. Ce dernier bien qu'ayant déjà préalablement livré un premier disque en solo en 1965 et oeuvré chez Cannonball Adderley n'est pas encore autant sous le feu des projecteurs que ses collègues mais cela ne saurait tarder, son heure de gloire est à venir.
A cet instant, c'est sa magie à faire surgir des notes de clavier pleines de fumée chez Davis qui font mouche. Spécialement sur la première piste. Et même le trompettiste qui dispose souvent d'un certain égo, reconnaissait avec un certain respect dans son autobiographie qu'In a silent Way était co-dirigé à la fois par Joe et lui-même.
Et dans ces sessions, il y a donc également Wayne Shorter. Pour ce dernier c'est différent puisqu'il a tourné avec Miles depuis déjà un petit moment, dans son second quintett (pour moi le meilleur). Il est donc au mieux pour comprendre le processus qui se fait jour chez Davis et sa volonté de tourner une page.
Wayne et Joe se connaissaient-ils d'avant ?
Difficile à dire. Toujours est-il qu'après un album du second en solo à nouveau où le premier apparaît prestigieusement au début 1971 (on pourrait même presque dire que l'album Zawinul est un petit frère à Weather Report déjà), ils se retrouvent à nouveau pour poser les bases du premier bulletin météo.
Et de là c'est le début d'une grande aventure passionnante qui durera une bonne décennie avant un déclin irrémédiable dans les années 80. Weather Report pratiquera un jazz vaporeux et avant-gardiste sans négliger un aspect funk et moite avec une touche d'accessibilité et de la technique. Un groupe qui saura manier constamment un casting 4 étoiles à son bord. Dès le début, Miroslav Vitous à la basse fait des merveilles et plus tard, un certain Jaco Pastorius fera également grandement sensation.
Le groupe ayant eu plusieurs périodes on peut préciser que les trois premiers albums participent plus ou moins d'une trilogie aérienne, atmosphérique et presque ambiant où le groupe trouvera constamment la force de jouer fort tout en chuchotant. Zawinul n'a déjà pas son pareil pour faire sonner génialement son clavier pour nous emmener dans une autre dimension sans que cela ne paraisse jamais daté. C'est la superbe Milky Way en introduction qui semble la porte d'entrée pour une galaxie parallèle. C'est le doux Orange lady, joyeusement étiré qui nous transporte sur un certain spleen. Plus loin un titre dansant comme Tears annonce le Weather report jazz-funk à venir avec déjà un sacré potentiel de machine à taper des mains et des pieds.
C'est enfin le début d'une formidable machine à rêve à savourer sur toute la décennie seventies.
Et vous savez quoi ? Le reste est tout aussi bon, voire encore meilleur...