Chers amis de Sens critique ceci est une nouvelle déclinée en épisodes et imprégnée du contexte de la guerre en Ukraine qui pourrait si j'en avais le temps dériver en roman. A chaque séance d'écriture je baigne dans l'écoute du disque (ou du groupe) excellent que j'utilise pour trouver mes mots. Uniquement des musiques explosives. Si vous en avez le temps je serai enchanté de recevoir vos critiques ou plutôt, devrais-je dire vos ressentis, vos avis. Vos conseils seront aussi les bienvenus.
Bien à vous et merci !
Episode 1 ici : https://www.senscritique.com/album/parrhesia/critique/266840369
Episode 2
Nuit, jour, aucun sens, sous la terre, économiser la lumière, rien ne filtre, avant gout de la fin, couloir bouché, avenir écrasé, passé oublié, présent mortifère, vibrations neurologiques comme une onde épileptique, corps secoués dans la transe onirique. Un tiers de vie passé à mourir, un tiers de vie aux "abonnés absents", un tiers de vie où les beautés mais aussi les vicissitudes du monde s'échappent, un tiers de vie où l'oubli est total !
L'homme qui s'avançait vers Vitali était véritablement imposant, peut être pas plus que lui mais différent, alarmant. Sec, large, noueux, puissant, le visage parsemé de cicatrices d'acné, le menton prognathe outragé par un abus d'hormones de croissance et souligné par un fin trait de barbe, lèvres minces comme tracées au couteau sous un nez aquilin et racé. Une double brosse fine parcourant le crâne glabre du front à la nuque large et puis ce tatouage de scorpion noir sur la joue dont le métasome léthal caressait le coin d’un œil comme prêt à piquer, à s'enfoncer pour déclencher le dernier voyage. A ce visage brutal, rugueux, altier toutefois et sans concession, s’ajoutait un regard perçant, glaçant, sans profondeur mais surtout une étincelle virevoltait tout autour de l'iris gris, celle de la folie. Ses mains aussi étaient irréelles bien trop grandes et Vitali devrait véritablement contrôler ces battoirs lors du match. La pesée se terminait, l'acromégale "cubique" de 124 kg afficha un petit rictus mauvais et recula. Tout autour de Vitali le temps semblait figé. Il était dans une bulle hermétique, l'agitation des arbitres, du public, des journalistes qui flashaient à tour de bras, rien de tout cela ne l'atteignait. C'était son premier championnat du monde de lutte libre, il avait travaillé comme un fou pour obtenir son ticket mais sans pouvoir dire comment ni pourquoi, lui, celui que l'on nommait le Kraken, celui qui enserrait ses adversaires dans ses vastes bras collants pour les retourner et les écraser au sol, celui qui avait remporté tant de combats, celui dont le visage doux et rond contrastait avec le corps de fer qu'il s'était sculpté, sût qu'il ne vaincrait pas aujourd'hui à Odessa.
Vitali ouvrit les yeux le premier et se rendit compte qu'il était toujours là, dans cette bouche malsaine, ce ventre de serpent noir qui allait devenir son tombeau. A sa montre cinq heures trente du matin, il était brisé de fatigue malgré le sommeil pesant mais surtout il avait faim, son estomac était recroquevillé comme une vieille éponge sèche et ses pensées en permanence étaient tournées vers la nourriture. Par chance ou bien, ironie du sort...allonger les souffrances...les survivants étaient à proximité de toilettes et l'eau, puissance de vie coulait toujours, ne manquait pas, sans cela ils seraient déjà morts. Par sécurité ils faisaient tout de même des provisions dans quelques bidons au cas où la source technologique se tarirait. En dix jours de travail éreintant, sous alimenté Vitali avait perdu de sa superbe. La seule chose qui l'apaisait un tout petit peu, lui permettait d'échapper à cette faim dévorante c'était Mariya. Décédée depuis quatre ans maintenant elle restait présente dans son cœur, une maman ça ne s'oublie jamais, une maman peut franchir la barrière de la mort, envahir ton esprit et répandre au fond de toi comme une chaleur bienfaisante. Elle était là avec son sourire caressant, son regard bleu acier étonnamment vif et intelligent derrière ses lunettes d'écaille, ses mèches argentées coulant sur son front et sa nuque gracieuse. Elle lui tenait la main, caressait ses cheveux avec douceur et cela suffisait pour gommer toutes les imperfections, oublier tous les problèmes. Il était si petit dans ses bras, lui le géant de Kiev.
A nouveau, cette taille qui le complexait quand il était adolescent, le gênait, lui posait des problèmes. Pour lui on devait faire une galerie plus haute, deux mètres c'est dur à caser mais on ne pouvait se passer de sa force et même si au début il assurait des tours de trois ou quatre heures grâce à son entrainement de lutteur, il avait été consumé petit à petit par ce travail éreintant et arrivait à peine maintenant à "boucler" ses deux heures.
Ils étaient sept à se relayer et depuis trois jours les deux enfants affaiblis, une fille, un garçon aidaient peu. Tous étaient à bout. Trois hommes, deux femmes, deux petiots et peu d'espoir.
Combien de temps pouvons-nous tenir encore ? Nous devons sortir aujourd'hui, sinon nous mourrons dans cette cave sinistre.
Sans faire de bruit Vitali se leva, il restait encore pas mal de piles, plus que les forces dont le groupe disposait. Il alluma sa frontale, la ceignit et prit la direction du "trou". Malgré la profondeur les galeries de métro s'étaient affaissées sous les bombes et le groupe était prisonnier dans une portion d'une trentaine de mètres, heureusement celle ci en face d'un escalier bouché menant vers une hypothétique sortie. Vitali s'engagea dans le tunnel en se courbant, parcouru rapidement la vingtaine de mètres qui le séparaient du bout puis se mit lentement au travail. La rigueur de son entrainement lui avaient appris à gérer ses efforts, il ne forçait jamais plus que de raison et utilisait tous les leviers dont il disposait pour retirer les blocs les plus lourds. En sport de haut niveau il faut gérer...toujours, se retenir, s'économiser et forcer au moment opportun. Alors il faut tout donner sans calcul, puissance au maximum. Très vite Larysa et Kalyna le rejoignirent. Ces deux femmes, dont une "maman" étaient étonnantes, leur ténacité, leur pugnacité étaient immenses. Il était surpris que des personnes si peu entrainées, si peu habituées à l'effort physique, aux souffrances du corps puissent donner autant. En regardant leurs visages à la lueur blafarde de sa frontale il vit les traits de Maryia, les traits universels de la mère, qui souffre, qui endure, qui protège, qui lutte et ne se plaint pas. Curieusement le travail consumant parvenait à lui faire oublier sa faim mais dès qu'il baissait les bras, dès qu'il prenait un moment pour reprendre son souffle ou étudier les parois l'espace se dissolvait et il apercevait des poulets rôtis à la Kiev, des varenyky farcis au fromage doux, des Borsch...virevoltant autour de lui. Alors il se mettait à sourire en salivant, tendait la main mais ne ramenait jamais rien à sa bouche. Les bulles éclataient et lui pauvre Tantale enterré reprenait conscience de son malheur. Il travailla sans relâche jusqu'à 8h et demie puis harassé, détruit, il tomba à genoux, et se mit à sangloter comme le bébé qu'il n'était plus, geignant faiblement dans un noir sépulcral que déchirait faiblement la lueur d'une frontale en fin de vie. Alors Larysa et Kalyna s'approchèrent, enserrèrent le géant et déposèrent les doux baisers de Maryia sur son visage épuisé.
Episode 3
https://www.senscritique.com/album/The_Madness_of_Many/critique/266822733