Avec "Script of the bridge", leur premier opus, que je considère, personnellement, comme le meilleur album de tous les temps, les Chameleons avaient placé la barre très haut : pour un essai, ce fut un coup de maître. A partir de là, le second ne pouvait être que moins bon ; la seule différence, c'est qu'on l'aurait tout de même espéré meilleur que ça.
"What does anything mean ? Basically" est en effet un disque qui se laisse écouter. Vraiment. Bon, il commence assez mal avec "Silence, sea and sky", un instrumental hyper aérien, planant, mais trop court pour administrer une décharge émotionnelle violente, ou avoir une quelconque utilité. Quoique : il a au moins le mérite de planter le décor. Grâce à lui, on apprend en effet que l'on trouvera dans "What does anything mean ?..." bien plus de synthé que dans le précédent, que la noirceur cèdera la place à une musique plus lumineuse et éthérée, flirtant avec un certain mysticisme. D'ailleurs, le masque de tristesse qui ornait la pochette de "Script of the bridge" semble, sur celle-ci, s'être mué en une figure divine, presque intouchable, plantée au milieu du ciel qui lui sert de décor ; sur ce plan, pas de doute, l'artwork est encore plus énigmatique, peut-être même plus réussi.
Pourtant, lorsque "Silence, sea and sky" nous cueille, on est également envahi par un pressentiment moins sympathique : celui que l'on risque d'avoir affaire à un album un peu ennuyeux. Et on ne se trompe pas tellement. Malgré cela, impossible de le nier, ce sont bien les Chameleons qui ont pondu ce disque : leurs effets de guitare caractéristiques sont toujours présents, la voix n'a pas changé d'un pouce, la batterie tape encore très bien. Techniquement, ils restent irréprochables ; mais pour l'inspiration mélodique, on ne peut hélas pas en dire autant. Cela donne une équation assez curieuse : pris un par un, les morceaux ne sont, dans l'ensemble, pas déplaisants ; mais une fois regroupés, la mayonnaise a du mal à prendre. "What does anything mean ?..." s'en trouve desservi : on s'aperçoit en effet que le groupe tourne déjà en rond. Les titres se ressemblent un peu trop, tirent sur les mêmes ficelles, souffrent du même manque d'inspiration, si bien qu'aucun ne décolle véritablement : le comble pour un album aérien. Bon, aucun, j'exagère : "In shreds" et "Intrigue in Tangiers" se détachent du lot (mention spéciale pour cette dernière) et "Return of the roughnecks", "Looking inwardly", complétés par "Nostalgia", ne sont pas reste, bien qu'un peu moins convaincants. Les autres stagnent dans une zone intermédiaire : loin d'être mauvais, ils ne sont pourtant pas suffisamment persuasifs. Pire : ils témoignent que sans la noirceur inhérente à "Script of the bridge", sans ses fulgurances géniales, les sonorités typiquement "Chameleonesques" peuvent rapidement atteindre leurs limites. Et si, pour résumer, l'ensemble n'a rien de honteux, on ne pourra s'empêcher d'y voir un petit gâchis ; alors, au milieu de ce voyage atmosphérique, sur ce ciel lumineux, se dessinera, menaçante, l'ombre de la déception.