Chrys-anthem
Tout a déjà été dit sur cet album quelques heures seulement après sa sortie, le pire (surtout) et malheureusement si peu le meilleur.
Une filiation certaine existe entre les haters de Yeezus à sa sortie et ceux qui – se pretextant les porte-étendards de la période Die Lit – s’émeuvent du nouveau changement de direction entrepris. La hype était sans doute trop grande pour satisfaire illico un auditoire cristallisant ses attentes dans un décor déserté discrètement par Ca$h Carti depuis bien longtemps. Comme toujours avec notre bonneteur professionnel.
Evinçons instamment les critiques portant sur la production et le mixage de l’album, naturellement infondées. Qui peut croire, avec un tel entourage, à une absence de sa part ?
Si la mise en abime étonnante du sample de DJ Akademiks laisse penser que certains ajouts ont été décidés en dernière minute, le procédé artistique est figé de longue date. Non, cet album n’est pas baclé. L’esthétique vampiro-punk entourant l’album (de la pochette iconique en hommage au Punkzine Slash jusqu'au look de Carti arborant dreads rouges, serti de Rick Owens de la tête aux pieds) est à l’origine de cette production délibéremment crasseuse. Comme Yeezus avant lui.
Globalement, si l’esthétique change, les lignes de force de Whole Lotta Red adoptent la même recette que les précédents opus. Outre cette production idoine, notre ex-simili gangster devenu vampire n’a rien perdu de son aptitude à moduler sa voix selon ses désirs. Quelle meilleure illustration que ce filtre d’outre-tombe sur les premiers morceaux, combien de cartouches a-t-il ingurgitées pour en arriver là ? Cancer de la gorge phase terminale.
Plus de place pour l’ambiance rêveuse et éthérée que laissaient supposer les leaks. Nous basculons dans le cauchemardesque. Comme Angel dans Buffy, le double maléfique a pris le dessus. Quelle ardeur méphitique sur la deuxième verse de Rockstar Made ! Et Stop Breathing ! et JumpOutTheHouse !...
La rédemption commence à poindre brièvement sur le alien-esque Teen X, constellation qu’aucun autre rappeur n’a pu atteindre à ce jour. Excepté Future, le side-car de Carti (note à moi-même : quand a-t-il atteint un tel niveau pour la dernière fois ?). Le baroque Vamp Anthem (feat. l’innatendu J.S. Bach) parachève un premier acte que Faust lui-même n’aurait pas renié.
Le jour se lève peu à peu sur Castelvania, le gaz N3on transperce l’atmosphere. Carti reprend le Control tout en exposant une fragilité insondée. Les effluves Punk de Die Lit errent parcimonieusement en toile de fond : Punk Monk, Die4Guy ("we some rockstars we the new Black Flag") pour finir sur un thugga-esque F33l Lik3 Dyin, pendant brûlant de Bound2. Entre, Over se distingue par le beat incroyable d’Art Dealer, et accessoirement le plus grand moment de 2020 : "my back to the wall what what my back to the wall what what".
Le Yeezus de la Trap, l’hymne d’une génération ?
Adlibs
Motif d'espoir - Nietzsche sous la plume de Sauvanet:
La figure musicale dont il est question ici exige et provoque en elle-même quatre moments successifs : la délimitation de son existence, l’acceptation de son étrangeté, l’accoutumance à sa répétition, la dépendance totale de sa beauté enfin. Ces quatre moments successifs soulignent le paradoxe voulu par Nietzsche : aimer n’est pas quelque chose d’immédiat, de spontané ; aimer demande du temps ; aimer s’apprend. Dans l’amour musical, il se pourrait bien en effet que ce soient les musiques que nous n’aimons pas à la première écoute qui finissent par nous ravir entièrement : l’étrangeté se dévoile peu à peu, leur beauté apparaît avec le temps, mais –heureusement – il reste toujours un voile. La facilité n’est jamais bon signe pour l’amour exigeant.
Qui sera le prochain ? #teamvamp