Pour certains, Wilco, après avoir atteint des sommets avec Yankee Hotel Foxtrot puis A ghost is born, merveilles d'équilibre entre americana torturée et audace expérimentale, s'est banalisé sur Sky Blue Sky, collection de chansons plus légères et ensoleillées. Pour d'autres, les triomphes artistiques de Jeff Tweedy n'éclipsent en rien sa nouvelle orientation musicale, plus apaisée. Au contraire. Ils permettent de jauger à quel point le songwriter d'exception a su vaincre ses démons pour atteindre, en chansons, à une forme d'épure, de sérénité.Si Wilco (The album), qui démarre par une ode premier degré au lien indéfectible et unique qui lie le groupe à ses fans, déroule une suite de mélodies claires, limpides et de douces envolées de guitares, il n'a rien de ces lénifiants recueils de « calif » des années 70. Au parcours riche et sans faute du passionnant groupe de Chicago (huit albums dont un live époustouflant), on ne voit pas d'équivalent. Ou alors celui de Neil Young jusqu'à Rust never sleeps. De la lumineuse ballade I'll fight, où la voix de Tweedy se fait plus émouvante et chaleureuse que jamais, au délicat duo avec Feist (You and I), plus George Harrison que nature, Wilco a probablement réalisé ici son Harvest. Quant aux nostalgiques du plus aventureux Spiders (Kidsmoke) d'antan, Tweedy a même pensé à eux : l'hypnotique et étiré Bull Black Nova et ses embardées sauvages de guitares devraient les combler.HC
Après la démonstration de force quelque peu pépère (et sacrément chiante sur les bords) Sky Blue Sky (2007), Wilco nous devait une revanche. C’est vrai quoi, après le sensationnel Summerteeth (1999), le chef-d’œuvre expressionniste Yankee Hotel Foxtrot (2002), la réplique longuette A Ghost Is Born (2004), et donc, Sky Blue Sky, le risque du lâchage de rampe guettait. Mais dès que retentissent les premières secondes alertes de Wilco (The Song), le pardon est accordé, et la rampe, on s’y cramponne avec la conviction du prosélyte heureux de louer cette mélodie d’école qui électrise illico l’attention et la fait tintinnabuler à coups de cloches. S’ensuivent Deeper Down, une ritournelle magistrale qui s’épanouit dans la retenue avant de s’évanouir dans une valse unique de sonorités distendues et d’arrangements tamisés, puis One Wing, qui débute encore en faisant résonner dans le dénuement la grâce vocale de Jeff Tweedy, avant de s’embarquer dans l’une de ses grisantes cavalcades folk rock dont les Chicagoans détiennent le précieux secret. Trois chansons et les choses semblent claires : Wilco a épuré ses intentions pour les dévouer entièrement à des compositions dépouillées de toutes excroissances stylistiques. Mais quand on s’imagine que chaque seconde va s’écouler avec ce naturel déconcertant, les Américains versatiles font détonner l’orageuse fugue électrique Bull Black Nova. Dans la droite lignée bruitiste et butée de l’ancien Spiders (Kidsmoke), ce climax cathartique vient briser une harmonie que You And I réinstalle avec douceur. Tweedy enlace alors la voix de Feist, qui se love dans une discrétion propre à magnifier cette tirade acoustique d’une rare pureté. Jeff s’y exprime avec la tendresse des plus beaux jours, peut-être heureux de chanter l’apaisement après avoir tant fait jaillir les fêlures. Les pianos en salve de You Never Know amplifient la légèreté ambiante de ce septième album, quand Solitaire propose une nouvelle accalmie où les arpèges sont tressés au bord d’un lit d’orgue sur lequel se reposent les chuchotements du diseur. I’ll Fight continue de porter aux nues un songwriting d’excellence : paroles et instrumentation se marient dans une harmonie de slide et de claviers pour créer un parangon d’americana moderne. En fin de parcours, Sonny Feeling renvoie à l’entrain originel de Summerteeth, quand l’affective expérimentation terminale Everlasting paraît destinée à exorciser pour de bon la peine de Yankee Hotel Foxtrot. On est d’ailleurs facilement tenté de prendre au pied de la lettre le titre de ce disque à l’apparente (et donc lumineuse) simplicité. Comme si Wilco (The Album) reflétait tous les éclats de beauté musicale que la formation a su répandre depuis quinze ans. Comme si, au lieu de se complaire dans leur statut de caciques du folk américain, Wilco avait ouvert les fenêtres pour respirer à plein poumon, avant de rigoler un bon coup en apercevant un chameau avec un chapeau pointu sur le balcon. Et de se dire que, aussi ubuesque soit-elle, la vie pouvait être une chouette expérience. (Magic)