En 2021, quelques mois après la publication de son excellent troisième album solo, Generations, Will Butler quitte Arcade Fire, le groupe séminal dont il a fait partie durant 17 ans. Ou plus exactement, le « groupe de son frère Win », au sein duquel il a pourtant été un élément essentiel durant près de vingt ans, apportant – en particulier sur scène – la flamme de son excentricité, de sa quasi-folie, à une musique qui risquait sans lui de sonner à la fois trop pompeuse et trop angoissée. Ce départ, dont nous n’avons pas encore pu juger de l’impact sur Arcade Fire puisqu’il était encore là sur We, le dernier album du groupe, a été visiblement l’occasion, phénomène classique, d’une « libération » artistique. Et voilà que nous tenons entre nos mains le produit de cette rupture, le premier album post-Arcade Fire de Will Butler, un album « en groupe », Will Butler & Sister Squares.

Ce groupe, désormais associé au nom de Will, est composé par son épouse Jenny Shore, Julie Shore, la sœur de Jenny, Sara Dobbs, une amie d’enfance des deux sœurs : une structure familiale donc – comme Arcade Fire, est-ce un hasard ? – au sein de laquelle Will se sent sans doute bien, suffisamment protégé pour pouvoir se laisser aller. Enfin, il y a Miles Francis, producteur, qui était batteur dans Antibalas, un groupe ayant ouvert pour Arcade Fire au cours d’une tournée. Cette longue introduction avant de parler de la musique tant il semble important d’expliquer le parcours qui a amené Will Butler à la création de cet album si… particulier. Presque expérimental par instants, et pourtant facile d’accès.

Cette facilité d’accès vient, sans surprise, du « style Will Butler », rappelant de la musique d’Arcade Fire, que l’on reconnaît sans peine, après 40 secondes d’introduction atmosphérique, dès le premier titre de l’album, Stop Talking : ce lyrisme profondément viscéral, cette puissance d’un chant emporté, possédé même, cet usage excitant des ruptures de rythme et des chœurs féminins… on est en terrain connu, ce qui réjouira les nombreux fans du groupe montréalais. Mais ce qui enchantera sans doute ceux que l’emphase – souvent critiquée – d’Arcade Fire rebutait, c’est que la musique de Will Butler + Sister Squares est largement dépouillée, ce qui lui retire toute connotation de « musique de stade ». D’une folle élégance, Stop Talking, et le titre suivant, Willows, qui reste dans le même registre, nous plongent dans un univers aussi confortable que légèrement dépaysant. Un univers au creux duquel on a envie de se lover, pour profiter de sa beauté.

Le single Long Grass, avec son texte évoquant des instants de bonheur suspendus et pourtant éphémères (« Here in the long grass / Here by the train tracks / Here where the air is clear / … / You drew me beside your ear / And when you let go, what did you tell me? / Something I couldn’t hear » – Ici dans les herbes hautes / Ici près de la voie ferrée / Ici où l’air est clair / … / Tu m’as attiré près de ton oreille / Et quand tu m’as lâché prise, qu’est-ce que tu m’as dit ? / Quelque chose que je ne pouvais pas entendre), réussit une impeccable synthèse entre extase et mélancolie, sur un rythme irrésistiblement dansant. La suite, avec un Me & My Friends sublime, qui se dissout dans un Saturday Night plus classiquement mélodique (avec ses « na na na na » à la Arcade Fire), nous introduit à l’autre versant de l’album, et du groupe, c’est-à-dire la recherche de sonorités et d’atmosphères « différentes », plus risquées commercialement sans doute, mais qui justifient pleinement ce « nouveau départ » de Will Butler.

De plus en plus planant, de plus en plus étrange, au fur et à mesure qu’il progresse, Will Butler + Sister Squares nous offre une seconde face moins évidente, plus abstraite et plus conceptuelle… même si un Arrow of Time fait à nouveau monter la pression « rock ». On a parfois le sentiment de croiser, comme sur Good Friday, 1613, le travail de Henk Hofstede sur les derniers disques de nos chers Nits… On peut trouver cette seconde partie de l’album moins « forte » que la première, mais, pour peu qu’on se laisse aller à sa magie et à son mystère, il se peut qu’elle s’avère aussi plus solide, plus pérenne.

Et puis, des titres comme le contemplatif Sunlight, le récitatif I Am Standing in a Room ou le tendre et entraînant Old Year s’avèrent de belles promesses pour l’avenir de Will Butler & Sister Squares, un véritable groupe qu’on suivra avec intérêt dans ses aventures.

[Critique écrite en 2023]

https://www.benzinemag.net/2023/09/29/will-butler-sister-squares-lenvol-du-petit-frere/

EricDebarnot
8
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le 29 sept. 2023

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Eric BBYoda

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