Quand en juillet 2019 sur la scène caniculaire du Pitchfork Festival à Chicago débarquent quatre jeunes femmes vêtues de grands panchos invraisemblables pour une interlude dansée, le spectacle est entier. CHAI sont alors les dignes représentantes d’un genre qui ne s’exporte pas tant que ça : le J-rock. Sans avoir le succès public mondial de la K-pop ou l’estime critique des médias spécialisés (dont Pitchfork), le rock japonais n’a franchi les barrières occidentales que via les quelques conventions spécialisées ou les génériques d’anime qui en ont fait leur spécialité. Et surtout -comme à peu près partout ailleurs- peu de formations uniquement féminines. Si Scandal fait parti des exemples les plus connus il faut bien reconnaître que tout les amateurs de musique n’en ont pas eu vent.
CHAI - WINK
Alors quand débarque la bourrasque CHAI, composé des jumelles MANA (chant et claviers) et KANA (guitare) ainsi que de YUNA (batterie) et YUUKI (basse) en 2012, soit le début de l’enterrement de ce dinosaure qu’est le rock, les murs tremblent. Armées de sourires indéfectibles, les quatre jeunes femmes prônent une fierté de soi sans bornes, faisant fi des règles en vigueur de la beauté et s’habillant ironiquement tout de rose. Rapidement identifiable (comme Scandal à son époque avec ses tenues d’écolières), la formation commence à se faire un petit nom et les refrains simples et efficaces parfois en anglais aident à les faire connaître hors de l’archipel. A partir de 2016, leur route se pave alors de succès avec des apparitions à SXSW, des tournées avec Superorganism ou Whitney et on les verra même parader avec leur nouveau meilleur pote Mac Demarco.
Difficile de faire sans CHAI jusqu’à la consécration en 2020, l’apparition sur la tracklist digne d’une réception aux Grammy Awards du dernier album de Gorillaz. Et déjà un indice sur ce qui nous attend dans l’album dont il va être question, le featuring est partagé avec JPEGmafia. Les fans de la première heure du quatuor seront alors déçus de voir la maigre participation réduite à des voix (très belles comme toujours) répétant Super Gorilla. CHAI en est réduit à son essentiel, des refrains simples mais entêtants. La chanson forcement très rap et pop n’est qu’un teasing de ce que contient WINK, troisième album, finissant par un K, toujours.
Et ce sera bien la seule chose qui reste car les changements sont nombreux. Le style, déjà, puisque ça a été évoqué. Exit le rock pop, on oscille cette fois-ci entre la city pop (genre japonnais quasi impossible à décrire) avec des morceaux comme Wish Upon a Star et un hip pop/r’n’b très nineties comme sur Nobody Knows We Are Fun. L’influence de cette décennie suinte d’à peu près toute les pistes. C’est de bonne guerre, la mode actuelle en use et abuse et CHAI surfent sur la vague avec style. Désormais des égéries de marques au Japon, on les retrouve sur des couvertures de magazines et en publicité pour des vêtements forcément rétro. Exit le rose à outrance et bonjour les lunettes colorées vintages et semelles compensées.
La musique n’est pas en reste puisque la batterie devient une boîte à rythme (ACTION), les synthés mielleux (Maybe Chocolate) et il y a même du rap (END) !
Le confinement est invoqué dans les raisons du changement puisque l’album a revu drastiquement les conditions de compositions et d’enregistrements néanmoins il est difficile de ne pas voir là aussi un opportuniste virage à 90° vers les modes du moments.
WINK est aussi l’occasion des premiers featurings joués à domicile. Mndsgn, Ric Wilson et YMCK (ça commence à être la fête des majuscules décidément, encore un truc à la mode) sont de la partie, chacun amenant un peu de leur touche, que ce soit le chant sirupeux et low funk du premier, le rap du second ou l’instru 8-bit des troisièmes. CHAI s’ouvre au monde c’est indéniable et surtout aux États-Unis qui il est vrai les ont bien adoptés depuis quelques années. Mac Miller, the Internet et Brockhampton sont cités en référence et le mouvement Black Lives Matter est évoqué pour l’écriture de la chanson ACTION. Difficile de savoir si il n’y a pas là aussi un peu d’opportunisme ou si la prise de conscience et de risque sont totales.
Car les 12 morceaux restent globalement inoffensifs. Mana et Kana ont beaux parfois s’éloigner un peu de leur chants enfantins l’ensemble reste diablement pop, toujours ponctué de ritournelles courtes et efficaces (pas un morceau au delà des 4 minutes). ACTION pourra répéter autant qu’elle veut qu’il faut passer aux actes, que la révolte est possible, le groupe se contente de sortir des clips où on sent qu’elles se font plus plaisir qu’autre chose (alors que N.E.O ou Great Job racontait au moins quelque chose à leur époque). Voilà pour ce qui est des statements, heureusement tout n’est pas noir lors de ce clin d’œil d’une grosse demi heure et on voit encore la vie en rose.
Sans aucun titre majeur qui porte le CD à bout de bras la faute à des rythmiques mollassonnes, l’ensemble s’écoute pourtant avec plaisir. Conçu pour les playlists shuffle des plateformes de streaming, les chansons sont taillées pour passer entre deux titres “passe-partout” du moment. END reste la véritable bonne surprise du LP avec l’un des rares exemples du talent de Yuna à la batterie même si malheureusement il s’avère bien court et mixé de manière à sonner comme un morceau de Grandmaster Flash. PING PONG! quant à lui nous rappelle bien les origines du groupe avec la participation du trio virtuel YMCK qui impose là ses sonorités façon jeux vidéo rétros. Enfin, un titre comme Wish Upon a Star sait être vraiment chill sans être à bout de souffle, ce dont souffre par exemple les singles qui n’ont rien de marquant malheureusement pour des morceaux phares.
Suivant une logique bien nippone de proactivité dans les sorties, WINK paru seulement deux ans après PUNK aurait pu s’éviter l’écueil du format album contenant non pas trop de déchets mais pas assez de morceaux savoureux. D’autant plus que le groupe continue de sortir des singles hors albums dans une logique commerciale peu compréhensible. Dernier exemple en date, Let’s Love publié mi avril démontre que le groupe a toujours une petite vibe rock (mais certainement plus punk) avec un duo basse batterie puissant et même quelques guitares bien senties. Dans une vibe flower power que le clip ne reniera pas, ce stand alone prouve que le message principal des quatre jeunes femmes reste l’amour. Un amour sans limite, qu’on se doit d’appliquer à tous et avant tout à soi-même.