La richesse de la scène originelle (et donc principalement Anglaise) du shoegaze mérite d’être redécouverte. Depuis que j’ai approfondi ce sous-genre, je me suis aperçu que tout ramener à My Bloody Valentine et Slowdive était ridicule. Ce n’est pas uniquement réducteur, car cette musique proposait très souvent des groupes différents, c’est également parce que ces deux grands noms ne sont pas les plus évidents à apprécier (seul Souvlaki étant peut être l’exception). Des bandes plus mélodiques, plus dynamiques et, dès lors, plus accessibles existaient à la même période.
Cela ne me choquerait même pas qu’on puisse penser que Catherine Wheel est bien meilleur que MBV car mieux chanté et plus mélodiquement affirmé, puisque c’est la vérité. Il n’y a rien de plus insupportable que des pierres angulaires devenant des dogmes inamovibles qu’on ne peut plus remettre en cause. Tout ça parce que des milliers de personnes avalent tout ce qu’on leur dit sans réfléchir.
Ce n’est pas spécialement pour polémiquer que je vais dire ça, mais l’influence qu’on eut les deux principales formations du style ne fut pas toujours positive. Au sein même du shoegaze, c’est carrément catastrophique et particulièrement dans ce qu’on appelle le "nu-gaze" qui est une appellation ridicule pour désigner le revival des années 2000. Pour un Tamaryn, combien de mauvaises copies de Slowdive faut-il supporter ? L’ironie dans toute cette histoire, c’est que ce sont les groupes "de secondes zones" qui ont influencé les bandes les plus intéressantes du revival actuel.
La difficulté du shoegazing, c’est d’utiliser un son très typé sans se reposer dessus. Se concentrer uniquement sur le travail de production pour ensuite faire passer cela comme de la grande musique, c’est bien le principal problème à éviter. Airiel n’a pas ce souci. Formé en 1997, ces Américains ont pris leurs temps pour sortir une série d’EPs essentiels vers le début des années 2000 et qui ont été regroupés dans cette énorme compilation. 1 heure et 42 minutes de shoegaze et de dream pop de tout premier ordre.
Contrairement à certains (comme Malory et A Place to Bury Strangers par exemple), il ne s’agit pas de copistes appliqués. Ces natifs de Chicago ont plusieurs qualités des meilleurs représentants des regardeurs de chaussures (le son clinique et limite électronique de Chapterhouse, l’efficacité mélodique de Curve, la passion de Kitchens of Distinction ou encore l’énergique rythmique de Swervedriver), cependant ils sont parvenu à les mixer pour donner naissance à une musique plutôt personnelle.
La variété de leurs influences se ressent ainsi dans les compositions. « Kiss Me Slowly » est technoïde dans sa construction mais ne néglige pas la mélodie grâce à un chœur inoubliable et puissant. « Halo » commence comme du space rock avant de se conclure dans un long crescendo à faire pâlir de honte Godspeed You! Black Emperor (le batteur est d’une puissance ahurissante) et « In Your Room » est d’une sensibilité désarmante avec son refrain à faire pleurer les morts.
C’est aussi l’autre point fort d’Airiel : leur chanteur. Alors qu’il est très fréquent de tomber sur des puceaux anémiques et effacés dès qu’on fouille dans l’underground, Jeremy Wrenn possède une belle voix dans la lignée des vocalistes singuliers de la new wave. Il a beau être Ricain, il a un charme typiquement British. Une élégance glacée qui en impose, notamment quand il interprète avec intensité ses mélodies (rien que « Swimming Through Us » ou bien « Stratosphere »…), ce qui compense son manque d’originalité.
Toutefois, si ce sacré coffret s’avère excellent (il n’y a pas un seul morceau dispensable, tout au plus, « Where It Belongs » est un peu longuet), Airiel a su se détacher du simple revivalisme (même s’il est extrêmement bon ici) et prouver qu’ils sont aussi capables de faire bien plus par la suite. Alors pourquoi est-il encore si peu connu aujourd’hui au profit d’autres groupes tous aussi interchangeables que d’autres ?
Chronique consultable sur Forces Parallèles.