Bruce a commencé à écrire cet album juste après avoir terminé « Magic » qui ne m’avait déjà pas totalement convaincu. Mais il y avait dessus l’énorme « Radio Nowhere » pour sauver un ensemble un peu fade. Dans « Working on a dream » qui est sorti en 2009, rien de tout ça. C’est un Bruce sans grande inspiration qui regarde en arrière et repense à un passé (surtout années 50 et 60) encore marquée par une certaine innocence. Dans les années 2000, l’innocence s’est bel et bien envolée et ne reste qu’un désenchantement face aux menaces et défis du monde contemporain, parfois percé de lueurs d’espoir (la chanson titre justement, « Tomorrow never knows », « This life »…). L’inéluctabilité de la mort et d’une fin qui se rapproche est bien présente aussi, l’album est d’ailleurs dédié au vieux compagnon Danny Federici qui n’a pas pu achever la tournée Magic et qui est mort en 2008, quelques semaines après être revenu jouer sur scène, très malade, avec ses potes de la E Street Family. Eh oui, les membres de cette bande de rockers commencent à disparaître les uns après les autres, le temps ne faisant aucun cadeau et c’est Charlie Giordano, remplaçant de Danny pendant la tournée 2008, qui va intégrer le groupe aux claviers et autre accordéon jusqu’à aujourd’hui.
Les thèmes abordés sont donc moins politiques et internationaux que sur les albums précédents des années 2000, même si l’élection de Barack Obama a été pour lui un événement essentiel et les 2 sont devenus des amis proches depuis, ce dernier symbolisant largement les valeurs que Bruce défend depuis des décennies. Il traite par contre des thèmes plus personnels, plus introspectifs sans réussir ce qu’il avait fait avec « Tunnel of love » où il s’était livré comme jamais il ne l’avait fait. Sur la pochette, Bruce, la tête penchée, semble esquisser un sourire. Parlons d’ailleurs de cette pochette, je la trouve et l’ai toujours trouvée totalement ratée, hideuse, sans doute la moins réussie de toutes ses pochettes d’album. Si c’est la pochette qui donne envie en 1er d’écouter un album, là, il faut bien reconnaître que l’affaire est mal engagée.
Reste l’écoute et elle n’est guère plus convaincante, Bruce a du mal à trouver de nouvelles idées et à se renouveler. Il s’agira d’ailleurs du dernier album que Brendan O’Brien produira pour lui, une histoire qui avait commencé brillamment avec « The Rising » en 2002 mais qui se révèle bien moins passionnante avec cet album, l’orchestration est riche, peut-être un peu trop riche, l’album paraissant à de nombreux moments surproduit. Tout avait pourtant bien commencé avec « Outlaw Pete » et son ambiance western à la Ennio Morricone, voilà le décor planté d’emblée, j’adore ça. Le titre est accrocheur. Sauf que le morceau dure 8 mn et c’est trop long ! On sent que Bruce n’a pas forcément su comment finir cette histoire trop bavarde, répétitive, qui aurait largement gagné à être écourtée de 3 ou 4 mn. Et même en concert, on aurait pu penser que la chanson trouverait une autre dimension, eh non, elle ne réussira jamais à prendre complétement avec le public. Un gâchis, dommage. On trouve une ambiance optimiste sur pas mal d’autres morceaux, ce qui contraste fortement avec « Magic », album sombre et sans concession de la présidence Bush. « My Lucky day » a des airs entraînants avec son piano et sa guitare, « Working on a dream » est sympa, plein d’espoir mais pas impérissable non plus. C’est drôle, l’intro de cette chanson m’a toujours rappelé « Space Oddity » de Bowie, emprunt inconscient comme c’est souvent arrivé à Bruce ? Le fond est pour moi atteint avec « Queen of the supermarket », un des plus titres les moins intéressants de Springsteen, OK, c’est de la pop légère et sucrée et ça ne peut jamais faire de mal, le Boss y raconte une scène de la vie quotidienne, le narrateur admirant une jolie caissière qui a du mal à cacher son ennui, la « reine du supermarché, c’est elle, mais c’est tellement passe-partout qu’on l’oublie tout de suite après l’avoir écouté. Même constat pour « Surprise, surprise », sans grand intérêt. « What love can do » est un titre plus rock, plus costaud, « Life itself » revient à un côté plus hymne que l’on connaît chez lui sans grosse efficacité. « This Life » fait un peu penser au Las Vegas des années 50. « Kingdom of days » est un autre gros point faible avec des cordes (là, l’album peut paraître surproduit) et « The last carnival » a une mélodie très faible voire ennuyeuse avec un Bruce qui recommence à se la « jouer country », pourtant un hommage à Danny, mouais, on aurait pu s’attendre à mieux…Un titre à sauver ? « The wrestler », le morceau final, chanson écrite spécialement pour le film qui a remis Mickey Rourke sur le devant de la scène après des années d’errance et c’est une très bonne chanson, on retrouve le Bruce fabuleux « storyteller », une histoire émouvante et un beau succès mérité.
Au total, peu de choses vraiment consistantes à se mettre entre les oreilles. Je classe cet album avec « Human Touch » tout en bas de sa discographie et je crois pourtant que je sauverai plus de titres sur « Human Touch » que sur celui-ci. Bruce a saisi parfaitement que cet album n’était pas à la hauteur de son talent. Là où, en tournée, il chante à chaque fois 5 ou 6 morceaux extraits du nouvel album, lors de la tournée « Working on a dream », les morceaux ont disparu progressivement de la setlist…Il a avoué qu’avec son manager Jon Landau, ils avaient pourtant essayé de les placer à différents moments des concerts mais ça ne marchait tout simplement pas. Lorsqu’il est venu jouer aux Vieilles Charrues en 2009 (seul concert français de cette tournée), il n’a joué que « Outlaw Pete », faisant confiance aux anciens tubes. Depuis, aucun titre de cet album n’a refait surface dans les tournées ultérieures. Rien de bien grave car en 2012, Bruce allait retrouver du jus avec « Wrecking Ball », autrement plus solide.