Neil Young, ou Uncle Neil pour ceux qui se sont égosillés à Bercy en 2016, n'est plus à un Paradox près. Il est aujourd'hui, ou du moins peut-être depuis Americana, aussi peu regardant sur sa production qu'il ne concentre son propos sur un objectif précis. Voire même plusieurs. Lorsqu'il ne défie pas les hautes instances du gouvernement américain face aux crises économiques et sociales (Freedom), écologiques (culminant avec The Monsanto Years et autres), climatiques (Earth), politiques (Living With War), Neil Young écrit, de manière prolifique. Triture de savoureuses mélodies, fait monter la température corporelle bien au-delà des 37,5 réglementaires recommandés par l'OMS avant que le voltmètre n'explose. Nils doit bien se marrer de voir son copain de toujours (Bruce n'est pas jaloux) tordre son Old Black autour de motifs connus jusqu'à l'épuisement, l'évanouissement.
Car World Record en trompera plus d'un. Démarrant sur une promenade folk qui pourrait clôre n'importe quel album écolo ou hippie (Love Earth), jouant de cet espèce d'orgue pas super sexy sur une poignée de morceaux qui trahit le poids des ans (The World), Neil Young et ses gabachos encore bien allumés n'hésitent pas à défendre leur approche d'un concept album bien à eux, jouant sur tous les fronts, tous les tableaux, quitte à se perdre un peu en route (The Long Day Before, superbe vocalement, pas convainquant question instruments) ou se répéter. Car oui, on a déjà sifflé quelque part l'harmonie de Walkin' On The Road. Mais où ? L'énergie du Loner, à 77 ans, est imparable, inattaquable, personne de son âge ne peut rivaliser ; Zappa est parti trop tôt de toutes façons.
Inattaquable aussi, cette singulière manière de concevoir depuis une dizaine d'années des albums inégaux, constellés de bizarreries, d'humeurs du moment, mais renfermant toujours un titre bien au-dessus de la mêlée, confinant au sublime, au climax fiévreux : Chevrolet, où Neil évoque amusé et inquiet l'amour qu'il a pour une vieille pétoire au volant d'ivoire et aux courbes généreuses, abusant des énergies fossiles pour filer à toute allure sur les autoroutes du Grand Ouest, est un chef d'oeuvre, mise au point de tout son art, orageux et frémissant, synthèse en 15mn de tout ce qui a été opéré sur Psychedelic Pill en 90 minutes dix ans plus tôt. Tu le crois, ça ?