Le Boss retrouve du jus et ça fait du bien !

Pas question bien sûr de voir dans ce « Wrecking Ball » un chef d’œuvre de Bruce du niveau de « Born to run » ou « Darkness on the edge of town ». Mais par rapport aux 2 albums qui l’ont précédé, c’est un bon retour aux fondamentaux, un rock puissant qui ne fait certes pas dans la demi-mesure mais montre une vraie colère concernant l’explosion des inégalités et la crise qui ravageaient les États-Unis comme les pays occidentaux et se font encore sentir aujourd’hui. Des millions d’Américains se sont alors retrouvés dans la rue, privés de logements. Le pays avait été balayé par la crise de 2008, le capitalisme néolibéral ayant atteint un niveau de cynisme jamais vu au début du XXIe s (pas la peine de rappeler le scandale dû au financier Bernard Madoff…). L’album de Bruce qui paraît en 2012 se fait donc le témoin de cette colère, prenant le parti de s’adresser au gars qui porte une cravate (« A guy that wears a tie ») et de lui parler franchement, sans mâcher ses mots, Bruce se faisant le porte-parole comme il l’a déjà été, des laissés pour compte, des sans-abris, des ouvrier(e)s ayant trimé toute une vie pour se retrouver licenciés du jour au lendemain, ceux et celles qui retroussent leurs manches pour être payés une misère.

Alors, OK, Bruce ne fait pas dans la légèreté, ce que certains lui reprocheront, on retrouve majoritairement les fameux « hymnes springsteeniens » taillés pour les stades. Pas légers, mais terriblement efficaces ! Le résultat est une suite de très bonnes chansons, on n’avait pas connu Bruce aussi inspiré depuis peut-être « The Rising » en 2002. Pas question de temporiser, on envoie d’entrée du lourd avec « We take care of our own » marqué par une batterie puissante, une guitare aérienne aux airs de sirène d’alerte et les paroles de Springsteen toujours aussi frappantes, des images fortes auxquelles le public est habitué depuis longtemps. Quand il fait référence au poumon industriel de l’Amérique, le texte renvoie aussi au cœur humain :

« Where the eyes, the eyes with the will to see

Where the hearts, that run over with mercy » (« We take care of our own »)

Dans une époque qui voit les conflits se multiplier, les inégalités se creuser, Bruce adresse avec force un message d’union et de solidarité. « Easy money » impose son rythme country percutant ; « Shakled end drawn » est un morceau de blues doté d’un tempo très marqué. Quant à « Death to my hometown », c’est une composition articulée autour de bois celtiques et des chœurs. « This Depression » et « You’ve got it » suivent le mouvement. « Wrecking Ball » a un message qui s’appuie sur une métaphore, celle de la destruction du mythique Giants Stadium qui évoque la destruction progressive du rêve américain sous les coups de boutoir du néolibéralisme. Bruce en fait-il trop pour asséner son message ? Peut-être mais ça marche et c’est bien là le principal, non ?

Et puis, attention, Bruce reste un immense auteur-compositeur et il sait parfaitement varier les ambiances avec des morceaux plus calmes, sans doute plus subtils : « Jack of all trades » par exemple, dont le narrateur est un type prêt à faire n’importe quel boulot qu’on voudra bien lui confier (tondre la pelouse, enlever les feuilles des gouttières, réparer le toit, planter des clous ou tailler des pierres !). Le constat est sans appel :

« The banker man grows fatter, the working man grows thin

It's all happened before and it'll happen again »

« Le banquier s’engraisse, l’ouvrier dépérit,

C’est déjà arrivé et ça se reproduira encore » (« Jack of all trades »)

« Rocky ground » fait aussi partie des réussites de cet album, réutilisant de nombreuses allusions bibliques (au Déluge par exemple ou à certaines paraboles des Évangiles). « We are alive » est sans doute directement inspirée de Johnny Cash, rien que le son de la guitare y fait penser, une chanson remplie de fantômes sur l’obligation de résister (un nouveau « No Surrender » des années 2000 ?). Enfin une version studio de « Land of Hope and Dreams », un morceau qu’on connaissait depuis des années mais uniquement en version live. Bruce avait commencé à la chanter en 2000 au Madison Square Garden (elle figure sur le Live in New York City) et il la chantait depuis régulièrement en concert. Cette version n’atteint pas l’intensité de la version en public mais elle est émouvante car ça devait être le dernier morceau enregistré par Clarence Clemons, malade. Il avait différé le plus longtemps possible sa venue en studio, pensant trouver les forces pour le faire. Il décède le 18 juin 2011, sans avoir eu la possibilité d’enregistrer la moindre note. Il manquait indéniablement quelque chose au morceau pour qu’il prenne. Une solution est trouvée par le producteur : utiliser une prise live du solo de Clarence et le placer dans la version studio après l’avoir un peu travaillé. Bruce n’avait pas été prévenu et quand il a entendu le résultat final, il a fondu en larmes.

C’est un album qui au final tient bien la route et le test sans appel de la scène a été plus que positif. Là où Bruce lors de la tournée précédente n’avait fini par interpréter que « Outlaw Pete » comme morceau récent (les autres ne marchant pas et ayant été abandonnés au fil de la tournée), pour celle de 2012-2013, ce sont 7 ou 8 morceaux de « Wrecking Ball » qui étaient joués chaque soir et qui marchaient formidablement. Bien sûr, Bruce n’a pas fait chuter l’élite du capitalisme mondial de son perchoir, ça n'était pas son objectif et il est trop lucide pour y croire. Mais avec cet album sincère et puissant, Bruce a montré qu’il était toujours un citoyen concerné et engagé et il a au-moins peut-être contribué à une prise de conscience. Même légère, c’est déjà pas mal non ?

JOE-ROBERTS
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