L’underground japonais de la cave au grenier de Tokyo

Même si le nom des Rallizes Dénudés commence à circuler par ci par là, il n’est pas inutile de résumer en quelques lignes de quoi il s’agit (à noter qu’il existe une page Wikipédia consacrée au groupe, qui vous fournira des informations plus complètes). On parle ici d’un groupe japonais, originaire de Kyoto, formé en 1967, et donc contemporain du Velvet Underground, auquel il s’apparente par bien des aspects : l’expérimentation extrême, le goût pour le bruit et les dissonances, etc. Il faut savoir que Les Rallizes Dénudés est un nom « français » traduisant le goût du leader, Takashi Mizutani, pour la littérature et la philosophie française, signifiant « les valises dénudées », décrivant, d’après Mizutani, les valises auxquelles il manque la poignée ! Beaucoup plus intéressant, et surtout singulier, est la fait que le groupe, bien qu’ayant existé jusqu’en 1996 – date de sa dernière apparition sur scène – n’a JAMAIS voulu enregistrer un seul disque ! Mus par un engagement politique féroce, proches des mouvements anarchistes, voire terroristes, de l’époque, les membres du groupe (et Mizutani en premier lieu, puisque, autour de lui, se sont succédés les musiciens) ont refusé de « rentrer dans le système » : il n’a longtemps existé des Rallizes Dénudés que des enregistrements live, pirates, de qualité discutable, édités en cassettes et difficiles à trouver ! Depuis quelques années, alors que la réputation posthume des « Japonais fous » a commencé à grandir à travers le monde (enfin, tout est relatif), des bandes ont été retrouvées, nettoyées et publiées, ce qui nous permet de nous faire une meilleure idée de l’approche musicale extrémiste, mais aussi du talent de Mizutani, entre autres grand guitariste déglingué, capable de construire des épopées soniques absolues et d’emporter son public dans des transes interminables.

Alors que le style musical des Rallizes Dénudés a constamment évolué au cours de leurs trois décennies d’existence, les spécialistes du groupe (oui, il y en a !) ont régulièrement souligné que l’une des périodes les plus fécondes – ou peut-être aussi les plus accessibles musicalement – de leur « carrière » a été l’année 80, quand le guitariste proto-punk Fujio Yamaguchi rejoignit – très brièvement – le groupe, et que son style « bluesy » compléta (et aida sans doute à structurer) parfaitement le jeu de Mizutani. Le groupe ne donnera que sept concerts dans cette configuration, qui sont restés légendaires, et c’est l’un de ceux-ci, daté du 29 octobre1980, au YaneUra (soit « le grenier ») de Tokyo, que l’on peut désormais entendre sur cet album live, qui vient d’être enfin « officiellement » publié. Rassurons tout de suite ceux qui craindraient une qualité d’enregistrement médiocre, les bandes originales ont été mixées et mastérisées par Makoto Kubota, l’un des membres du groupe, et le son est tout à fait correct.

Le concert, d’une durée d’un peu moins d’une heure et demie, est découpé en 6 sections oscillant entre 10 et 20 minutes, qui peuvent être soit des titres distincts, soit ce qui ressemble à une partie d’une œuvre plus longue qui se poursuit d’une plage à l’autre. La répétition de riffs lents, presque blues (Deeper In The Night 1980), dégénérant en folie psychédélique et noisy (I’m the Darkness, puis Flame of Ice, superbement radical, sans doute le sommet du concert), alterne avec des passages plus contemplatifs, plus mélodieux aussi, même si la guitare joue son rôle de poil à gratter en ajoutant les dissonances nécessaires pour qu’on ne tombe jamais dans la beauté « toute simple » (Enter the Mirror). Le chant est, évidemment, non conventionnel, tour à tour touchant et dérangeant, exactement dans le registre « décalé » qu’appelle la musique. The Night, Assassin’s Night montre que les Rallizes Dénudés de 1980 pouvaient créer et jouer des morceaux presque « normaux », enfin ce jusqu’à ce que la guitare distordue fasse basculer tout ça dans l’hystérie et le chaos. L’album se clôt sur un The Last One 1980 d’une vingtaine de minutes épiques, qui nous fera regretter à jamais de ne pas avoir été là, au Grenier de Tokyo, le 29 octobre 1980.

Si vous hésitez encore à vous lancer dans l’aventure Les Rallizes Dénudés, sachez que John Dwyer, l’homme des OSees, a monté en 2023 un projet appelé Les Rallizes Cover Band, destiné, comme son nom l’indique, à reprendre des titres du groupe japonais. Difficile de faire mieux comme référence en termes de « guitare agressive », non ?

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/09/03/les-rallizes-denudes-yaneura-oct-80-lunderground-japonais-de-la-cave-au-grenier-de-tokyo/

EricDebarnot
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le 3 sept. 2024

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Eric BBYoda

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