Xeu est un album de rap de très haut niveau. D’abord, il propose une vision, ce qui, dans les arts, est d’une grande rareté. Aujourd’hui Michel Houellebecq propose une vision, Milan Kundera aussi très certainement, avant nous avons eu Balzac, Zola… Sa vision est : pour être heureux il faut connaître le mal et discerner le bien. Nous expliquerons que Xeu est construit sur cette augmentation dans l’esprit. Un artiste qui crée un univers habité par ses idées et son style. Evidemment je ne parlerai pas en dichotomie fond et forme. Je dirai les choses simplement et irai à l’essentiel. Le style de VALD sert bien sûr ses idées. Rien n’est laissé au hasard. Il y a très peu de rimes gratuites, et quand il y en a c’est parce que l’univers du titre le permet. Les éléments sont parfaitement assemblés. Je veux seulement préciser que cette interprétation de Xeu pour moi est la bonne et qu’il est incorrect de dire que VALD n’y avait pas pensé. C’est le propre du rap et par extension de la poésie ou de la littérature : le lecteur/auditeur recrée l’œuvre qu’il lit/écoute.
L’on commence par « Primitif ». VALD y énonce ses idées phares : faire de l’argent est indispensable et souhaitable, se lamenter est pathétique et contre-productif, si l’on est artiste il faut exceller dans son art pour atteindre ses maîtres, il faut ôter ses chaînes, ne pas avoir peur et chercher à être libre. Il inclue quelques phrases perçantes pour la déconne, ça prépare la suite. Vient logiquement « Seum », le morceau le plus noir, le plus en bas dans l’échelle des valeurs. Très divertissant et contenant un message qu’il faut expliquer. Il y énonce parfaitement les tentations. Par exemple ce qui le conduirait à commettre des crimes serait la rancœur qu’il conserverait à l’égard de ceux qui l’ont pris pour un clown alors qu’il se comporte, par sa personnalité, différemment des autres. Le morceau est très bien interprété, très entraînant, mais inspire une pitié immense : il n’est pas placé en 2e place par hasard ! Demeurer dans cet état de lamentation, de plainte et de rancœurs contre le monde serait pitoyable. Le morceau est pitoyable. Mais avoir le seum n’est qu’un état très court dans l’éthique de VALD. Au moins il sait fixer les problèmes ! Il joue le type aigri, c’est pathétique, envers ceux qui ont la foi. Il est énervé contre tout. Il est indispensable de voir que ce morceau vise à tourner en ridicule les partisans de cet état d’aigreur longue, ceux qui vivent dans le mal et le péché inconsciemment ou par révolte. Justement, ce n’est pas ça la révolte ! VALD nous dit de façon interprétative que la révolte dans le mal représente précisément l’illusion de se révolter et de s’en sortir une bonne fois pour toutes.
« DQTP » : bon morceau bien divertissant grâce à un flow fleuri, nouveau, percutant ! Il expose cette thèse simple : les rappeurs « conscients » ou bien seulement les personnes qui croient exposer les vrais problèmes ne traitent que de sujets de surface. « Possédé » : très divertissant qui met dans un mood bien joyeux, qui fait sourire, on se marre bien. VALD s’indigne d’être aussi attiré par les tentations simples : le sexe, l’alcool, les soirées. Mais s’amuse aussi d’en être aussi conscient et d’esquiver le remords. « Chépakichui » : avec « Seum » on boucle la boucle. Après s’être révolté d’avoir eu le seum pour des mauvaises raisons ou en tout cas des raisons nerveuses, s’être fait volontairement possédé par les tentations quotidiennes, VALD pourrait tout à fait basculer définitivement du côté obscur et faire le mal. Mais non : « Derrière l’comptoir Sadam Hussein me dit ‘’ Je suis Dieu toi présente-toi ! – Quoi moi ? Chépakichui tout c’que j’aime : fumer du shit faire d’loseil.’’ » Quelle meilleure réponse formulée contre les tentations suprêmes ? VALD dans ce morceau évoque la confusion de son âme : il ne parvient pas à discerner le bien du mal et pourtant il ne tombe pas dans la perversion. Un optimisme si puissant : même égaré, même tourmenté par les maux du quotidien, l’homme demeure accroché à son intuition de bonté originelle qu’il peut retrouver, alors rien ne justifie de faire le mal, ce n’est pas facile, ça n’a rien d’évident.
Tout ça pour glisser doucement vers une fin magistrale, encore, que l’on retrouve et qui expose à merveille l’éthique de VALD : il faut devenir génial. Non seulement même perdu dans des sentiments confus l’on peut se raccrocher à sa lumière individuelle (VALD est humaniste, il croit en la puissance de l’homme face à la perversité de la société : il peut toujours s’en sortir !) mais il faut se faire existentialiste : VALD lui-même ne croit pas que la foi puisse sauver alors que l’homme lui-même le peut, c’est ce qu’il préconise.
La sauce de VALD c’est de parvenir à divertir en transmettant sa vision. : devenir libre et heureux par-delà bien et mal. Incroyable. Je terminerai en rappelant seulement que ses vers sont les seuls de tout le « game » à être aussi fleuris. Je suis transporté par la richesse des rimes. C’est un grand bol d’air, vraiment ! Dans « Gris », « Rocking Chair », « Jentertain », incroyable… ! Le titre « Résidus » selon moi est un résidu de rap conscient qui signe l’arrêt de mort (enfin ?) du genre le plus pauvre du rap. En échos : « Réflexions basses » qui lui répond que l’on peut dire les choses clairement, consciemment, mais ça ne signifiera jamais vraiment quelque chose. Les morceaux qui ont le plus de sens sont ceux où le projet de divertir est à la base de l’acte de création ! et pas celui de démontrer ! VALD n’est ni poète, ni écrivain, ni chanteur engagé, il est musicien ! Il a saisi ce qu’était son art et à quel point l’on pouvait l’exploiter le plus qu’on pouvait. Attention: ne pas confondre conscience et engagement: VALD s'engage sans être conscient. Là est son talent. Il dit des pensées profondes par le déguisement de l'art et du divertissement. Mentionnons enfin l’efficacité de la nouvelle méthode de création : le rappeur en collaboration avec le producteur. Une alchimie secrète, parfaite ! Amuseur de foules, passeur de messages merveilleux, Xeu remplit son but en tant que chef d’œuvre : diffuser le bien, créer le bonheur.
Quelques vers à retenir de l’album ? Evidemment dans « Gris » : « T’es choqué du test salivaire, j’suis l’plus joyeux d’tous les mammifères / Petit sourire en coin sur la civière, la mort pour seul happy end ». Après ça je me suis demandé : mais bon sang, qui peut dire ça ? Quelqu’un qui a la foi c’est sûr ! Mais non, VALD n’a pas l’air de l’avoir, car il est antisuperstitieux. Mais alors, comment le dire bon sang ? Quel genre de confiance donne ça ?! A cela je ne formule qu’une hypothèse qui me suffit, qui allège le fardeau de mon incompréhension : la confiance de l’artiste, qui se croit déjà sauvé…