Il est étonnant que cette absence d'alchimie entre nos deux acolytes ait donné lieu à une œuvre, qui elle-même a rencontré un tel succès partout dans le monde et une telle réputation à travers le temps au sein du mouvement Synthpop. Car le duo de Yaz (leur nom américain car un autre groupe avait déjà pris Yazoo) ne se sont jamais considérés comme un « vrai groupe ». Ils n'avaient rien en commun, elle, la fille de paysan français qui parlait fort et lui, l'Anglais réservé. Par conséquent, ils ne se parlaient pas, n’allaient pas boire des coups ensemble et se connaissaient très peu. La tournée entre les deux albums n'a pas du être très folklorique.
A leur retour, épuisé, Vince n'est plus trop motivé à bosser, pensant que Yazoo était un projet destiné à un seul album. Alison, quant à elle, n'apprécie pas d'avoir été si rapidement (à 21 ans quand même) sous les feux des projecteurs, elle n'assume pas ce succès qu'elle rencontre car par son style, c'est elle qui reçoit l'attention principale du public (même si avec le temps, les gens retiendront surtout Vince Clarke). Elle se sent également perdue dans un monde d'hommes, dont Vince à toutes les clés alors qu'elle, n’en a aucune. C'est sous la pression de leur maison de disque que sort donc ce You and me Both.
Comme sur Upstair’s at Eric, le song-writing est partagé, à la différence que cette fois-ci, les deux se trouvaient rarement ensemble en studio au même moment. Il enregistrait le matin et elle, l'après-midi, il jouait et elle chantait par dessus de la façon qu'elle voulait ou inversement, elle grattait à la guitare et lui arrangeait. A l'image du seul single « Nobody’s Diary » qu’Alison avait écrit à ses 16 ans, je dirais que l'album est beaucoup moins festif, moins dansant, moins Clarke (quoi que ses propres chansons sont plus dépressives aussi, l'humeur du moment). Les ballades sombres sont légions et même si l'ensemble est de qualité, je n'entends pas véritablement de tubes ici, ils leur manquent tous un petit quelque chose.
En fait, on sent tout simplement moins de passion de la part de Vince. Sans doute s'il avait eu l'envie, qu'il aurait arrangé chaque chanson de façon à reconquérir à nouveau les charts. Ici, les instrumentaux font le strict minimum, ce qui n'empêche pas que le niveau soit juste et constant, exit (heureusement) les expérimentations vocales du précédent, rien n'est à jeter sur cette galette (« Anyone » est à peine en dessous). Vince pousse nonchalamment la chansonnette sur « Happy People », Alison gagne en justesse vocale sur l'ensemble et « Walk Away From Love » nous refait le coup de « Don’t Go », pastichant son gimmick synthétique.
You and me Both se vendra moins que son prédécesseur même s'il fera de meilleurs chiffres au niveau des charts. Il faut dire que Yazoo se séparera juste avant la sortie de l'album, ne faisant pas vraiment le jeu de la promotion. Ils se sépareront sans accrocs, car malgré leur indifférence à l'égard de l'autre, ils se seront toujours considérés avec respect. Quand ils se retrouveront en 2008 pour tourner ensemble, elle, plus calme et gérable, lui, plus ouvert et éclairé, ils apprendront enfin à se connaître autour de points communs, leurs sens de l'humour et leurs gosses. Certains essayistes écrivent que le succès de Yazoo est à l'origine de la vague synthétique qui suivit jusqu'à la fin des années 80. Je pense qu'ils n'étaient qu'une goutte d'eau parmi d'autres qui ont fait déborder le vase.