La collection des Trésors de Marvel se poursuit avec ce troisième numéro qui nous offre une sélection d’histoires publiées par Marvel en 1968. Une excellente opportunité pour replonger dans le passé éditorial de la célébré compagnie et découvrir ou redécouvrir certaines histoires emblématiques et d’autres plus méconnues.
Après 1982.
Après 1973.
Nous voici donc en 1968.
Une période faste pour Marvel. Stan Lee est encore en charge d’un large pan de leur univers, offrant des dizaines et des dizaines d’histoires par an aux lecteurs, tandis que certains dessinateurs ont encore suffisamment de liberté pour s’exprimer à leur manière. Par la suite, le style Marvel un peu trop uniformisé perdurera un peu trop longtemps.
1968 est aussi une année charnière pour la compagnie qui renégocie son contrat avec son distributeur. La compagnie était alors limitée entre 14 à 18 titres par mois, ce blocage passe maintenant à 24 titres. Certains héros aujourd’hui emblématiques de la compagnie peuvent avoir leur propre titre. La compagnie va ainsi être pendant plusieurs années le maître des rayonnages de bandes dessinées, une période considérée par Stan Lee comme le « deuxième âge de Marvel » (Générations Marvel, 2017, une précieuse source).
Une fois encore c’est le célèbre tisseur de toiles qui ouvre le bal mais l’histoire présente est plus surprenante. L’épisode ne provient pas de la série régulière et emblématique The Amazing Spider-Man pourtant en bonne forme cette année avec Stan Lee et John Buscema Sr toujours aux commandes mais de Marvel Super-Heroes n°14. Cette série anthologique proposait différentes histoires, c’est dans ces pages que sont nés le Captain Marvel de Marvel (le premier, pas Carol Danvers) et la première équipe des Gardiens de la galaxie.
L’ouvrage Générations Marvel s’étonne de la présence de Spider-Man dans cette revue, loin de sa revue phare. Ce numéro des Trésors de Marvel nous fournit une explication. John Romita Sr s’était blessé le poignet, alors Stan Lee avait préparé une histoire confiée à Ross Andru qui devait permettre à la série de ne pas s’arrêter. Mais John s’étant remis plus rapidement que prévu, l’histoire prévue fut finalement publiée dans cette revue.
Les histoires des Marvel Super-Heroes ont très rarement été traduites chez nous, celle-ci l’ayant été pour la première fois en 2012 selon Comicsvf, il est toujours intéressant de découvrir ce matériel quasiment inédit. Hélas cet épisode de remplissage porte bien les cicatrices de son histoire éditoriale. Spider-Man est confronté sans le savoir à un méchant peu charismatique, le Sorcier, qui le manipule mentalement pour aller affronter un gros robot. Le Sorcier sera défait par… le facteur qui en sonnant à sa porte fera disjoncter la machine qu’il portait sur son crâne. Il faut toujours faire attention à ses branchements électriques. En dehors de l’escapade du tisseur de toiles à la Nouvelle Orléans pour Mardi gras, il n’y a rien de bien exotique là dedans, et cette menace lointaine qui fait souffrir notre héros sans qu’il ne sache qui en est responsable est bien trop générique. Ross Andru offre des pages assez classiques, bien réalisées mais sans éclats, à l’image de cet épisode qui vaut plus pour son statut de curiosité que pour ses qualités.
Les deux histoires suivantes sont liées et témoignent du goût de Stan Lee, au scénario, pour faire vivre ses personnages en dehors de leurs séries. La rencontre est plutôt improbable entre l’univers urbain de Daredevil et les aventures cosmiques des Fantastic Four mais l’épisode 38 (et 37 mais non publié ici) de l’homme sans peur et le 73 de la célèbre équipe partagent un célèbre personnage, le Dr Fatalis qui est le moteur, même s’il n’apparaît qu’indirectement dans ce deuxième épisode. Spider-Man et Thor se joignent à la fête, pour un épisode riche en super-héros.
Sans l’épisode 37 (dommage!) il est un peu difficile de bien percevoir ce qui a déterminé le dictateur de la Latvérie à s’opposer au cascadeur aveugle. Mais nous découvrons le héros en bien étrange posture, piégé dans le corps de Fatalis. C’est le début d’une suite de quiproquos qui entraînera une baston générale dans le deuxième épisode avec ces super-héros.
Le scénario est des plus légers, et même des plus improbables. Il s’appréciera d’autant plus avec un certain recul sur cette époque un peu naïve dans ses propositions. Mais aux dessins nous avons Gene Colan pour l’épisode de Daredevil, avec ses formes anguleuses, ses compositions un peu baroques. Et pour les Quatre Fantastiques rien de moins que le King, Jack Kirby, un peu en dehors de sa zone de confort, la puissance du cosmique, mais quand ça bastonne, ça bastonne bien.
Difficile tout de même de ne pas être un peu sceptique sur le choix proposé, il manque un épisode, le scénario est assez faible. Certes, c’est une réunion de grandes figures de Marvel qui permet d’en avoir plus pour son argent. Mais il y avait peut-être d’autres histoires plus intéressantes.
Intéressante, l’histoire suivante l’est assurément. Puisque Nick Fury a enfin droit à son titre personnel après avoir partagé l’affiche avec le Dr Strange dans la revue Strange Tales. Nick Fury Agent of S.H.I.E.L.D continue la trame générale précédente avec ses personnages, Jim Steranko est alors toujours au scénario et aux dessins. L’épisode présent, le premier, mais aussi les autres, détonne, car l’artiste propose un mélange entre espionnage et super-héros, avec le sabotage des installations de l’agence du SHIELD par un mystérieux super-vilain masqué, le Scorpion.
Il n’y a pas de temps mort, et c’est au risque d’être confus, mais l’histoire est assez saisissante. D’autant plus que le parti-pris graphique est assez intéressant, avec une influence psychédélique évidente dans les compositions, la mise en scène toujours dynamiques, les contorsions des personnages ou certaines couleurs. Les épisodes de Jim Steranko ont beaucoup marqué leur époque. En 1979 les célèbres Humanoïdes associés avaient même réédité ces numéros en France, à une époque on se fichait un peu de redécouvrir les classiques des comics. Ces pages sont saisissantes, assez avant-gardistes. Mais Jim Steranko ne resta que quelques épisodes, n’arrivant pas à tenir le rythme, et la reprise de la série par d’autres ne la sauva pas d’une annulation début 1971.
L’annulation est bien loin pour une série alors en pleine forme, les Avengers, tenus de main de maître par Roy Thomas et John Buscema, toujours aussi doué pour accentuer la dramaturgie des histoires. Les épisodes 57 et 58 ici présents sont assez connus, puisqu’ils marquent la naissance de Vision, célèbre androïde. Roy Thomas qui adorait puiser dans le passé de Marvel pour revisiter certains personnages (et aussi parce qu’il était embêté de créer des personnages originaux qui par contrat auraient appartenu à la compagnie) reprend et adapte une ancienne création, au nom similaire et à l’allure assez proche. Mais il en crée un nouvel être singulier, qu’il relie à Ultron, super-vilain crée peu de temps avant et à Wonder man, personnage décédé depuis le numéro 9. Roy Thomas avait déjà ravivé son souvenir avec le Moissonneur, super-vilain qui voulait venger la mort de son frère, Wonder Man.
Ces deux épisodes se révèlent assez sensibles, présentant la Vision comme une création aux pouvoirs certes impressionnants mais avec une humanité aussi bien présente. Le mystère de sa création sera révélé dans le deuxième épisode, tandis que son revirement de vilain à héros dans le premier dévoile une facette du personnage assez intéressante. La Vision est un personnage assez grandiloquent, mélancolique et sentimental lorsqu’il s’interroge sur sa capacité à ressentir des émotions en tant que machine. La dernière page nous le prouvera. L’action est donc bien présente, mais en retrait, pour célébrer l’humanité, qu’elle soit de chair ou artificielle.
Comme pour Nick Fury et d’autres, Iron Man a maintenant droit à son propre titre en 1968, il partageait avant le sommaire de la revue Tales of Suspense avec Captain America, qui aura lui aussi son titre dédié. Bien qu’il soit numéroté comme le premier épisode, le numéro ici présent reprend les personnages et continue l’histoire de Tales of Suspense n°98 et des précédents. Le Vengeur doré est piégé par l’AIM qui, parce que la science c’est un peu magique, va réussir à cloner son armure d’un petit coup de manivelle. Cela a encore une fois la naïveté de ces années, où certains scénarios pouvaient être assez faciles. L’histoire est signée Archie Goodwin, le dessin est de Gene Colan, mais ce dernier semble moins à l’aise que sur Daredevil. C’est un peu trop chargé, assez inégal dans le trait. Il s’agit peut-être d’une question d’encreur, ou de temps ou de motivation. Mais cet épisode d’Iron Man est assez quelconque.
On finit par de la bagarre avec l’avant-dernier épisode de Tales to Astonish, qui réunit les deux figures de la revue, Hulk et Namor. Quelques mois plus tard ils auront leur propre revue. Même si Hulk reprendra la numérotation de Tales to Astonish tout comme Captain America reprendra celle de Tales of Suspense et tout comme Dr Strange reprendra celle de Strange Tales. Oui, il faut savoir se dépatouiller entre les renumérotions et les changements de noms des revues de Marvel.
Cet épisode voit les deux anti-héros s’opposer, une pratique récurrente et traditionnelle chez Marvel, comme on l’a vu pour l’épisode des Quatre Fantastiques présent dans ce même tome. Namor veut s’allier à Hulk qui lui est manipulé mentalement par le Maître des maléfices, autre tradition du super-héros, ils y sont tous passés et même plusieurs fois.
L’épisode écrit par Stan Lee n’avait pas été réédité depuis 1974 selon Comicsvf, c’est donc une petite surprise assez agréable. Ce n’est « qu’ » un épisode de baston mais tout de même assez réussi, où l’un et l’autre ne font pas semblant, avec l’interrogation de savoir qui va en sortir vainqueur. Marie Séverin est aux pinceaux, c’est une des rares femmes artistes de comic-book de ces années. Le rendu est assez appréciable, toujours lisible, avec une simplicité dans le trait qui le rend un peu cartoon.
Ce troisième tome des Trésors de Marvel est donc assez surprenant, dans le sens où il propose quelques histoires emblématiques de cette année (pour Avengers et pour Nick Fury) mais va chercher aussi à proposer celles moins connues. Avec des résultats différents, car même s’il y a quelques épisodes assez rares, tout ne se vaut pas. On ne peut tout de même pas reprocher à ce numéro de ne pas prendre de risques, même si les choix semblent maintenant plus aller vers le fan averti que le débutant qui voudrait découvrir un peu mieux cette année 1968.
A suivre, 1984.
A suivre, 1976.
A suivre, 1969.