La collection anthologique Les trésors de Marvel remonte dans le temps et s’arrête en 1973. Le principe est inchangé, une année, des histoires de cette année. Pour prendre le pouls du Marvel de ces années, découvrir ce qui se faisait, quels artistes étaient impliqués et quels personnages étaient mis en avant.

Le tout dans un copieux volume de 160 pages et plus, à un prix doux et de chouettes couvertures réalisées par Alex Ross, le grand maître de la peinture de super-héros. Ghost Rider est à l’honneur, et il aura droit à son histoire, mais ne mettons pas la moto enflammée avant les bœufs.

Si le début des années 1970 est difficile politiquement et socialement pour les États-Unis avec l’enlisement au Vietnam et le scandale du Watergate, la compagnie Marvel se porte bien, merci pour elle. Elle vit une période de profonds changements, où la première génération de créatifs de l’après-guerre se détourne des comics. Stan Lee devient directeur éditorial, chapeautant la compagnie et diversifiant l'offre avec des essais tels que le surprenant Comix Book et ses auteurs indépendants. Jack Kirby claque la porte de Marvel, insatisfait de la reconnaissance obtenue. De nouveaux artistes arrivent, qui vont parfois apporter leurs idées aux personnages de la compagnie.

Dans les histoires choisies pour ce recueil, c’est une nouvelle fois le bondissant Spider-Man qui ouvre le bal masqué pour deux épisodes devenus cultes dessinés par Gil Kane. Dans Amazing Spider-Man 121 et 122 la confrontation entre l’Homme-araignée et le Bouffon vert atteint un terrible palier avec la mort de Gwen Stacy, béguin de longue date de Peter Parker. L’histoire est tragique, à la juste mesure d’un personnage présent depuis 1965, aimée de nombreux lecteurs qui appréciaient son innocence et son intégrité. Mais pour les scénaristes Gerry Conway et Stan Lee il s’agissait aussi de faire de la place pour accorder plus d’exposition à la fougueuse et pétillante Mary Jane.

Gwen Stacy est jetée d’un pont, mais c’est le jet de toile de Spider-Man qui semble la tuer. Si l’homme en collant accuse le Bouffon vert, des histoires postérieures évoqueront sa responsabilité dans cette mort. Bien des fans referont l’histoire. Et si Spider-Man n’avait pas lancé la toile pour la rattraper (et donc lui casser la nuque, ce qui semble sous-entendu, la cause de la mort est très discrète ici), serait-elle encore en vie ? Cette mort ajoutera en tout cas un nom à la liste des culpabilités de Peter Parker et l’histoire, tendue et éprouvante, reste un classique.

L’épisode suivant nous présente Iron Man dans un cadre plus exotique qu’à l’accoutumée, puisque le milliardaire en armure se retrouve dans l’espace. C’est la naissance de deux personnages importants qui justifie cet épisode, bien connus des fans du MCU, avec un Drax différent, en homme de tête plutôt qu’en brute simplette, qui demande de l’aide pour contrer les plans d’un conquérant intergalactique, Thanos, assez proche de ce qu'on connait, mais encore assez classique dans ses intentions. Le dessin, assez classique, et le scénario sont de Jim Starlin.

En dehors de cette introduction à Thanos et à Drax, qui ont leurs histoires intimement liés, cet épisode ne vaut surtout que pour cette curiosité. C’est Iron Man à l’affiche, cela aurait pu être un autre héros. Mais si cet épisode 55 est daté de février 1973, il ne faut que quelques mois à Jim Starlin pour développer son méchant et son contexte. L’artiste reprend alors la série Captain Marvel, dont la figure centrale n’est alors pas à l’époque une femme (et c’est aussi le mérite de ces recueils de faire découvrir cet historique Marvel à ceux qui ne connaîtraient que les films). En quelques mois Jim Starlin rédéfinit le héros avec cet épisode, le bien nommé « Metamorphosis ! ». Avec une nouvelle couleur de cheveux (bon, ça, voilà) mais aussi des pouvoirs plus étendus et une nouvelle responsabilité, celle de défenseur cosmique.

Thanos est à nouveau présent (et il a déjà son allure actuelle), Drax aussi, mais l’épisode est avant-tout introspective et psychédélique, à une échelle bien loin de préoccupations terriennes. La série, moribonde, avait été confiée à Jim Starlin qui la dynamite avec une belle vigueur et une sacré folie, notamment dans des planches aux compositions bien plus fantasques, comme un énorme trip sous acide pour Captain Marvel. Et probablement aussi pour Jim.

Les épisodes suivants retournent sur le plancher des vaches pour des épisodes plus classiques mais malgré tout importants. Les deux épisodes proposés (Defenders n°10 puis The Avengers n°118) sont les derniers d’une suite de plusieurs entre les deux séries alors scénarisées par la même personne, Steve Englehart. Il s’agit alors d'un des premiers crossovers majeurs de Marvel entre plusieurs titres.

L’histoire est assez classique, vue et revue : les deux équipes sont rivales, elles se tapent dessus et finalement s’allient pour taper sur le vrai méchant. C’est une dizaine de personnages impliqués parmi les plus puissants de l’écurie Marvel, avec Thor, Iron Man ou Captain America du côté Avengers et du côté Defenders Dr Strange, Hulk ou Namor, avec d’autres héros et héroïnes encore. La bataille finale est de grande ampleur contre le mystique Dormammu. Une page déverrouille le cadre des deux équipes pour montrer d’autres héros Marvel aux prises avec les sbires du grand vilain, avec entre-autres Les Quatre Fantastiques, Spider-Man, Ghost Rider et même quelques habituels antagonistes comme le Dr Fatalis ou même Thanos, décidément partout en cette année 1973 ce qui démontre sa rapide popularité.

Les dessins de Sal Buscema et de Bob Brown sont assez classiques, du même moule Marvel de ces années. Mais malgré tout, et comme l’histoire, assez old-school, un peu désuet mais avec malgré tout un certain charme naïf.

Ghost Rider se retrouve dans l’épisode suivant, pour le premier épisode de la série à son nom. Le motard fantôme avait déjà eu droit à plusieurs épisodes dans la série anthologique Marvel Spotlight, cette nouvelle série en poursuit les (mes)aventures. Ce premier épisode de Gary Friedrich et de Tom Sutton n’est d’ailleurs guère palpitant, l’anti-héros passant la majeure partie de l’épisode à l’hôpital pour mieux développer des personnages secondaires assez peu intéressants. Le numéro a tout de même l’honneur d’introduire Daimon Hellstorm, mais de façon discrète, sans voir son visage. Le personnage aura une plus grande postérité par la suite.

L’existence de Ghost Rider, de Daimon Hellstorm (fils de Satan, tout de même) ou des personnages des deux épisodes qui suivent témoignent aussi d’un relâchement des conditions drastiques imposées par le Comics Code Authority aux comics, l’équivalent moraliste du Code Hays du cinéma. Depuis le début des années 1970, il est maintenant possible de parler de drogues et de sujets plus dérangeants, mais aussi d’utiliser des personnages de monstres et de créatures horrifiques, « lorsqu'elles sont traitées dans la tradition de Frankenstein, Dracula, et autres travaux littéraires de haute qualité écrits par des auteurs tels que Edgar Allan Poe, Saki, Arthur Conan Doyle et autres auteurs respectés dont les œuvres sont lues dans les écoles du monde entier. » (traduction de la page Wikipedia française). Un peu de sérieux, tout de même.

Dracula peut alors faire son entrée dans les pages des comics Marvel avec plusieurs séries. The Tomb of Dracula est de celle-ci, écrite par Marv Wolfman et dessinée par Gene Colan, au trait ampoulé et aérien. Dans cette série, on pouvait y découvrir les méfaits du comte (généralement défaits à la fin, mais pas sans quelques cous sucés et sbires sacrifiés) et les actions d’une équipe à ses trousses. Le personnage est respecté, il reste manipulateur et charmeur. Dans cet épisode il s’invite sur un paquebot rempli de célébrités pour les utiliser dans ses plans machiavéliques. L’histoire est assez plaisante, même si le cadre est un peu trop exotique. L’épisode est plus connu pour l’introduction d’un personnage qui aura lui aussi une belle renommée, le chasseur de vampires Blade. Son allure très 70’s est alors bien différente du cuir et latex des films, mais son caractère et son efficacité sont déjà là.

Enfin, la dernière histoire est une nouvelle fois une histoire inédite, et cette fois-ci vraiment inédite puisqu’elle est tirée d’une revue en noir et blanc qui était destinée à un public plus adulte et qui ne fut quasiment pas éditée chez nous, Vampire Tales. C’est une vraie et bonne petite surprise, en 4 pages malheureusement courtes, où un harceleur de rues qui croyait avoir trouvé une proie facile sera lui même la proie de Satana, personnage qui fait sa première apparition ici. John Romita Sr au dessin et sans encrage arrive très bien à créer une atmosphère inquiétante qui se retournera contre le harceleur. En dépit de son retournement surnaturel, l’histoire de Roy Thomas apparaît de plus comme d’une actualité toujours forte.

Ces dernières histoires démontrent bien les talents métamorphes de Marvel. Avec le relâchement du Comics Code il peut s’adapter aux nouvelles tendances qui plaisent aux dernières générations, dont l’horreur (plus gothique que terrifiante). Avec la blaxsploitation et la mode des films d’arts martiaux, d’autres héros suivront tels que Luke Cage, Iron Fist ou Shang-Chi, non présents ici.

Il est aussi amusant de constater que la tendance des comics Marvel à se diviser en sagas sur plusieurs épisodes était déjà ancrée en 1973. Quasiment tous les titres ici présents s’inscrivent dans des feuilletons sur le long terme, avec des intrigues sur plusieurs épisodes qui se poursuivent et dont certaines trouveront leur conclusion plus tard et ailleurs.

1973, ça ne nous rajeunit pas, et certaines histoires accusent plus facilement leur âge que celles du précédent volume. En dehors de quelques séries plus audacieuses, c’est du classique, mais pas forcément déplaisant, avec des aventures tragiques, cosmiques ou épiques, et des personnages bien écrits. En dehors de quelques illustrations plus audacieuses (le Captain Marvel de Jim Starlin et le Dracula de Gene Colan), cette année démontre bien un style « Marvel » un peu plus commun, même si là encore il est possible de faire du classique de bonne manière, avec un trait lisible et des compositions accrocheuses.

Le troisième volume des Trésors Marvel remonte encore dans le temps, cette fois-ci dans ce qui est considéré comme l’âge d’or de la compagnie.

A suivre, 1968.

A suivre, 1984

A suivre, 1976

A suivre, 1969

SimplySmackkk
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le 28 juin 2022

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