Attention, cette intégrale n'en est pas une : elle regroupe seulement les quatre premiers tomes de la série Marzi parue dans Spirou (Petite carpe, Sur la terre comme au ciel, Rezystor et Le bruit des villes). La série n'est donc pas terminée. J'avais déjà lu Petite carpe, qui m'avait bien plu. Je reproche juste à cette édition de ne pas clairement indiquer le passage d'un tome à l'autre. Mais dans la mesure où il s'agit de petites histoires focalisées sur un moment enfantin, sur quelques pages à chaque fois, j'imagine que ce n'est pas trop grave.
La chute du mur de Berlin est un de mes premiers souvenirs historiques importants. Marzena Sowa a à peu près le même âge que moi, si j'ai bien compris, sauf qu'elle a grandi de l'autre côté du mur. Elle s'occupe du scénario et du texte, et son compagnon des dessins. Elle regroupe ses souvenirs d'enfance. Chaque case est encadrée par un carton (un peu comme dans Blake et Mortimer), qui révèle son monologue intérieur. La particularité est que le texte retranscrit ce que pense Marzi, ses interrogations, ses peurs et ses joies d'enfant, sans rajouter le filtre d'une narration a posteriori. Il y a beaucoup de questions, d'exclamations, le texte apporte une vraie fraicheur. Les images semblent davantage une illustration du texte. Le graphisme fait le travail, il est efficace sans être révolutionnaire.
La culture matérielle de l'URSS finissante est reproduite de manière parlante, pour ce qu'en voit une enfant. Marzi décrit l'appartement dans lequel elle vit avec sa famille, les jeux dans la cage d'escalier avec l'ascenseur et le vide-ordure, le marché noir, les virées à la campagne et les promenades en forêt, sa relation tendue avec sa mère, l'initiation à la vie religieuse, les fluctuations de l'amitié (avec sa copine Monica un peu peste, puis avec Gosia, sage et venue d'une famille plus aisée), la télévision (Mireille Mathieu, les feuilletons brésiliens), un voyage à Cracovie.
Au final, ce récit d'enfance garde quelque chose d'universel : il ne s'agit pas d'un féroce brulôt antisoviétique, dans la mesure où une enfant, du fait de son périmètre limité, ne pouvait pas voir grand-chose. On est cependant témoin des queues dans les magasins pour avoir des produits de première nécessité (au passage, on voit que ces queues devenaient des endroits de sociabilité), de la panique suscitée par la catastrophe de Tchenobyl (qui pousse la famille à se hâter de revenir à la maison recevoir des pilules d'iode), d'échos de la popularité croissante de Lech Walesa (le père participe à des grèves et revient avec un oeil au beurre noir). On n'est jamais témoin directement d'une arrestation de la police politique, d'une manifestation de terreur. Juste du fait qu'il vaut mieux aller à la grande manifestation du 1er mai et s'y montrer souriant pour ne pas avoir de problème. Avec des inégalités aussi, entre une masse qui vit à la lisière de la pauvreté et des gens plus aisés qui se débrouillent grâce aux magouilles.
Mais l'impression de vivre dans des conditions frugales et presque misérables n'interdit visiblement une forme de nostalgie. En creux, on sent tout de même une jeunesse construite de manière assez coupée du reste du monde.
Je serais assez curieux de voir la suite de la série car il reste encore à voir traité l'effondrement de l'URSS proprement dit.
Marzi est une série attachante qui montre des bribes de l'époque communiste finissante, à hauteur d'enfant. C'est assez pédagogique, faites-la acheter par votre CDI.