2011, l'odyssée de l'optique
Waouh !
Impressionnant.
Absolument énorme.
Génial.
Génialissime,
lumineux,
énormissime,
jouissif,
époustouflant ! ! !
Les adjectifs sont nombreux mais les mots manquent pour restituer la qualité et surtout la créativité de ce somptueux album.
Pour être franc, je n'avais pas été épaté plus que ça par Dieu en personne, que j'avais trouvé très inégal et décevant. Là, je ne savais pas trop à quoi m'attendre, mais je suis resté sur le cul comme on dit, expression qui résume bien mon sentiment, bien que je ne l'utilise que très rarement.
Je n'y connais pas grand-chose en bd, mais j'ai l'impression qu'on a là une expérience unique à ce jour. Sans tout dévoiler, de quoi s'agit-il, quel est le concept ?
Et bien, en gros, la bd n'est que le zoom d'une action qui dure au total trois secondes. Chaque case est un zoom de la précédente ! Vous allez me dire, comment est-ce possible, il ne fait pas un album sur l'infiniment petit, quand même ? En effet, ce n'est pas de cela qu'il s'agit car Marc-Antoine Mathieu zoome systématiquement sur un objet dans lequel il y a un reflet (miroirs bien sûr, vitres, rétroviseur, lampes, lunettes, scalpel, etc.) : il zoome donc constamment, mais en se rapprochant du reflet, l'image grossit, et on découvre peu à peu de nouveaux détails. Et ainsi de suite, la bd n'est qu'une trajectoire, de reflets en reflets. Je ne suis pas sûr d'avoir été très clair, le plus simple est d'ouvrir cette bd, on comprend très vite.
Et dans tout ça, même si l'action ne dure que trois secondes, il y a une intrigue. Le seul truc, c'est que c'est à nous de chercher des indices pour comprendre ce qui se passe. Et c'est là que je trouve ça génial, on n'est pas dans une lecture linéaire avec une réponse à la fin, l'œil est libre, il furète sans trop savoir ce qu'il cherche dans un mouvement de va et vient, entre différentes pages, entre différentes cases, pour revérifier des détails, revoir des éléments, croiser différentes informations...
On est parfois un peu perdus, mais il faut juste chercher pour s'y retrouver, tout y est ! Ah, qu'il est bon de se perdre et de chercher son chemin, de prendre le temps, de savourer, dans une société, la nôtre où l'on doit tout avoir ou tout savoir instantanément. On se met à examiner les cases comme on ne le ferait jamais, nous aussi faisons notre propre zoom, à suivre le moindre détail, qui pourrait être un indice, à tourner les pages en arrière pour comprendre la situation. On comprend peu à peu où on est, ce qu'on voit. C'est un travail sur le regard, celui de MAM, mais aussi le nôtre ! On se fait parfois piéger : on imagine quelque chose pour se rendre compte après qu'on a été trompé par notre propre imagination, notre extrapolation. Ah, que c'est bon de se perdre ! Il est vrai que l'album en désorientera plus d'un et déplaira certainement à certains : il faut forcément relire l'album pour tout bien comprendre, donc ça peut en rebuter plus d'un, c'est sûr.
En tout cas, MAM s'est amusé, on le voit par exemple avec les multiples clins d'œil qu'il se fait lui-même, par exemple avec les noms des protagonistes, qui sont tous des anagrammes d'Eric Cantona et quasiment du nom de MAM lui-même.
L'album, en noir et blanc, renforce la qualité visuelle du travail de MAM, qui est un travail sur le zoom bien sûr, mais aussi sur le cadrage et les angles de vue, puisqu'on finit, après quelques détours il est vrai, par découvrir une scène sous tous les angles.
Si avec ça on n'a pas compris qu'une photo, un dessin ou un plan est avant tout un cadrage, il n'y a plus beaucoup d'espoir. MAM nous montre ainsi, s'il en était besoin, qu'on peut facilement nous manipuler avec des images, et la citation « In girum imus nocte » présente sur une sculpture de l'album est un clin d'œil à Guy Debord et aux situationnistes dans la continuité desquels ce travail peut être inscrit.
Cet album fait aussi un peu penser à Georges Pérec lorsqu'il dit tout d'un lieu, par exemple dans Tentative d'épuisement d'un lieu parisien ou La vie mode d'emploi.
C'est là une sorte de travail oubapien, avec plusieurs contraintes : le zoom, les reflets, le temps, pour apporter différentes représentations d'une même réalité. C'est donc avant tout un travail visuel, il n'y a aucune bulle, pas de parole, et au final assez peu de texte si ce n'est sur du papier, des affiches, du journal, texte qui est toutefois important à repérer pour comprendre l'intrigue.
Le procédé choisi aurait pu être lassant, mais globalement ce n'est pas le cas. C'est vrai qu'à un moment MAM s'égare un peu, et en fait trop, notamment avec les pages sur la lune qui m'ont il est vrai laissé quelque peu perplexe (ok, la lune, c'est loin donc le zoom est forcément plus lent mais bon là c'est un peu chiant, faut bien le dire), même si dans ce cas ça permet une rupture temporelle (qu'il aurait toutefois pu amener autrement).
Ceci étant dit, malgré ces quelques aspects négatifs, j'ai tellement été surpris et comblé par ce voyage que je mets 10 sans hésiter. C'est sans doute un poil exagéré, mais c'est un véritable coup de cœur que j'assume même si je suis persuadé que cette œuvre ne peut être consensuelle, car un peu difficile et ne pouvant plaire qu'à un public particulier, qui aime sortir des sentiers battus et apprécie de jouer un peu à l'enquêteur tout en prenant tout le temps qu'il faut.
Pour ma part, j'ai adoré ce voyage, ce parcours, cet itinéraire qui nous est davantage proposé qu'imposé. J'ai été littéralement happé par cette inarrêtable mise en abîme, ce zoom qui, tel un trou noir, m'a aspiré en lui et empêché de lâcher l'album de bout en bout, malgré l'heure tardive. J'ai été subjugué par cette bd, j'ai passé un excellent moment à la lire et à tenter de décrypter ce qui se passait.
C'est donc un énorme travail, passionnant, somptueux, neuf : MAM invente un concept pour notre plaisir, ça change de ce qu'on a l'habitude de voir, lire...
Quel talent ! Si ce gars n'a pas un peu de génie...