AD Police
6.4
AD Police

Manga de Tony Takezaki (1989)

Le studio Artmic nous a gratifié de plusieurs productions d'envergure (Genesis Climber Mospeada, 1983 ; Megazone 23, 1985 ; Gall Force – Eternal Story, 1986) avant de tomber, victime de la banqueroute, en 1997. Mais auparavant, cette équipe réalisa ce qui reste certainement son œuvre la plus aboutie : Bubblegum Crisis (1987), dont le futur proche à l'inspiration cyberpunk a marqué une assez large audience et lui a valu d'être un des fers de lance de l'exportation de la culture manga / anime en occident au cours des 90s – et notamment aux USA.


Hommage évident au film Blade Runner (1982) de Ridley Scott, mais augmenté des dernières trouvailles techno-scientifiques concernant des secteurs de pointe tels que les nanotechnologies ou les biotechnologies, cette série d'OVA s'est frayé un chemin tout à fait particulier vers les cœurs des otakus du monde entier, pour son orientation action comme pour sa noirceur au moins sous-jacente – et je ne désespère pas de trouver un jour le temps de vous en parler plus en détails...


Une autre série d'OVA fut réalisée un peu plus tard, AD Police Files, qui lui servit de préquelle – au ton beaucoup plus noir et violent – et dont ce manga, comme le titre l'indique, est un spin off situé chronologiquement un peu plus tard mais sans pour autant en être une séquelle, plutôt une side story (1). À cette époque, le groupe de vigilants en armures mécanisées connu sous le nom de Knight Sabers n'existe pas encore et le seul moyen de protéger les citoyens d'un boomer devenu fou furieux réside dans les moyens de l'ADvanced Police – une brigade spéciale au départ créée pour contrer le terrorisme mais vite reconvertie dans la lutte contre les androïdes défectueux.


C'est dans ses rangs qu'on trouve l'un des protagonistes principaux de Bubblegum Crisis, le « bleu » – car tout juste transféré de la Normal PoliceLeon McNichol, même s'il jouera dans ce récit un rôle somme toute assez mineur car la vedette y est plutôt laissée à Jeena Malso – une « ancienne » de la maison, au point d'ailleurs qu'elle en porte des stigmates bien visibles – et surtout dans la seconde moitié de l'histoire : ce sera l'occasion de voir à l'œuvre cet archétype féminin de la culture manga qui n'a pas pour habitude de s'en laisser conter, même par des machos armés jusqu'aux dents...


Pourtant, et c'est ce qui est appréciable dans cette itération, le focus ici est fait sur les boomers eux-mêmes : d'habitude relégués dans le camp des « méchants » (2), voire des sous-fifres, ils n'avaient en général pas vraiment le droit à la parole dans les productions animées. S'ils ne deviennent pas les personnages principaux pour autant dans cette narration graphique, ils prennent néanmoins une place bien plus prépondérante, et pas seulement à travers les scènes d'action... C'est ce qui fait le principal intérêt de Dead End City par rapport aux animes de la franchise : à travers une espèce de technique narrative « miroir », il examine l'autre facette de cet univers, celui qui n'avait jamais vraiment eu l'opportunité de s'exprimer jusqu'ici alors qu'il avait tout de même deux ou trois choses à dire.


Il ne s'agit pas de questions de fond pour autant : ne vous attendez pas à y trouver des pensées fulgurantes quant au rapport entre l'homme et ses créations pensantes car vous seriez déçu. Il s'agit en fait plus d'interrogations de victimes de l'intolérance qui ne comprennent pas ce que les humains ont de si supérieur pour traiter leurs créatures comme ils le font... Si Frankenstein n'est pas bien loin, ceci reste néanmoins un thème assez récurrent dans les productions nippones, et qui n'atteint pas ici de niveau supérieur de réflexion.


Enfin, les boomers ne se posent pas tous ces questions non plus. L'un d'entre eux est bien trop mégalomane pour ça. Esquinté alors qu'il travaillait sur une station orbitale, les radiations solaires ont grillé ses circuits de telle sorte qu'il en a perdu la « raison » et s'est ainsi convaincu d'être le messie destiné à libérer les intelligences artificielles du joug des humains. Je n'ai pas souvenir d'avoir jamais vu le thème de « La Révolte des Robots » tournée ainsi sous l'angle de la psychiatrie mais c'est en tous cas le prétexte de situations souvent cocasses et assez hautes en couleurs. Mais ne croyez pas pour autant que l'atmosphère de noirceur viscérale typique d'AD Police est ici absente, seulement elle tient plus dans les images aux accents fantasmagoriques de Tony Takezaki (3) que dans la violence du propos ou de l'intrigue – ce qui peut éventuellement être considéré comme un changement bienvenu.


Mais la part belle est aussi donnée à l'action, à travers des scènes pas si nombreuses que ça où la frénésie des combats mettant en scène des boomers est ici retranscrite avec une violence rare, qui du reste convient très bien à l'ambiance de folie furieuse et pas toujours larvée qui caractérise l'univers sombre d'AD Police. Quant au chapitre final, il fait un clin d'œil assumé et appuyé au tout premier Die Hard, et ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle.


Si AD Police: Dead End City ne révolutionne rien, et surtout pas l'univers de Bubblegum Crisis dont il est issu, ce one shot constitue néanmoins une excellente introduction à ce qui reste encore de nos jours une des franchises les plus emblématiques de la culture manga / anime en occident : vous auriez tort de passer à côté.


(1) ce qui est d'autant plus surprenant que ce manga fut réalisé avant l'OVA AD Police Files, peut-être comme une sorte de coup d'essai pour tester si le concept en était viable vis-à-vis du public. Peut-être...


(2) toutes proportions gardées bien sûr : après tout, une machine ne fait que ce pourquoi elle est programmée...


(3) fantasmagories qui trouvent d'ailleurs leur point culminant dans Geno Cyber (1993) – un titre en aucun cas lié à celui-ci, et qui reste une création entièrement personnelle de son auteur pour ce que j'en sais.


Notes :


Ce manga fut traduit et publié en français chez Samouraï Éditions en 1993 mais il est actuellement épuisé ; on peut néanmoins le trouver sans difficulté sur des sites de vente en ligne à des tarifs intéressants. Par contre, cette chronique concerne l'édition américaine dont la couverture illustre le début de ce billet.


Le mecha design du cerveau artificiel qui tient lieu de principal protagoniste de cette histoire traduit à lui tout seul toute l'admiration – assumée et même revendiquée – que suscite l'œuvre de Katsuhiro Otomo chez Tony Takezaki, jusqu'au numéro 28 qui orne la « poitrine » de ce boomer.

LeDinoBleu
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Science-fiction et Mecha

Créée

le 4 mars 2011

Critique lue 379 fois

6 j'aime

6 commentaires

LeDinoBleu

Écrit par

Critique lue 379 fois

6
6

Du même critique

Serial Experiments Lain
LeDinoBleu
8

Paranoïa

Lain est une jeune fille renfermée et timide, avec pas mal de difficultés à se faire des amis. Il faut dire que sa famille « inhabituelle » ne lui facilite pas les choses. De plus, Lain ne comprend...

le 5 mars 2011

45 j'aime

L'Histoire sans fin
LeDinoBleu
8

Un Récit éternel

À une époque où le genre de l’heroic fantasy connaît une popularité sans précédent, il ne paraît pas incongru de rappeler qu’il n’entretient avec les légendes traditionnelles qu’un rapport en fin de...

le 17 août 2012

40 j'aime