Alec
7
Alec

BD de Eddie Campbell (2011)

Alec est un beau titre pour une autobiographie, et ce pour les raisons même qui en faisaient déjà un beau prénom. Sobre, le pseudonyme laisse beaucoup d'espace à l'imaginaire pour compléter le portrait de celui qui le porte. Un souci d'économie qui s'accommode à la perfection avec ce récit où se profile en creux le portrait du sympathique Alec : double, écho, ou reflet, de ce que fut dans sa jeunesse l'auteur Eddie Campbell. Baignant dans les anecdotes et les aveux intimes, ces quatre lettres apparaissent moins comme un masque que comme la marque d'un auteur qui cherche la bonne distance pour se retourner sur son parcours. La bonne distance, alors, c'est reconnaître que l'on est devenu autre, et que celui dont on parle est un fragment du passé que le temps refuse d'effacer.
Voilà pourquoi l’autobiographe renonce au "je". Se dessiner, c'est se dissocier et, à la manière de Nathalie Sarraute dans Enfance, tutoyer celui que l’on était. Dans ce troisième volume, Campbell retrace les premières années d'écriture et les œuvres de jeunesse, mais aussi la mise en ménage dans un deux-pièces spartiate et la naissance du premier enfant. C'est une époque riche en rêves et pauvre en argent, dépeinte le long d'un dialogue pétillant de finesse où textes et images se renvoient la balle adroitement. Aux « tu » adressés à l’alter ego Alec, tantôt teintés d'ironie douce, tantôt d'affection amusée, répondent les images mélancoliques et sensibles du souvenir, le plus souvent dans l'évocation, le trait épuré comme pour ne rien écraser. Tel un duel, le jeune homme qui rêvait de révolutionner son art, de forcer le destin et marquer l'histoire de son nom, affronte désormais le regard plein de tendresse de l'auteur apaisé qu’il est devenu.
Enfin, au nombre des qualités que compte la série, il en est une particulière à ce troisième volume : l’angle documentaire historique. Les pages de cet opus constituent en effet un témoignage précieux sur l'émergence de la scène de bande dessinée anglo-saxonne, cette équipe de jeunes turcs qui allait bientôt révolutionner l’industrie du comic book en injectant des préoccupations artistiques dans leurs bandes dessinées. Non seulement, pour le passionné, ce portait dressé par l’un des plus illustres acteurs du mouvement aura valeur de pass backstage, mais même le profane se retrouvera inéluctablement aspiré dans la spirale des anecdotes cocasses, aveux émouvants et autres plans sur la comète illusoires. Avec ce troisième volume, le pseudonyme Alec porte plus que jamais l’empreinte de la pudeur. Peut être car l’auteur ne s’intéresse jamais tant à lui-même qu’à ce monde en ébullition qui lui a offert un nom et une identité.

S; Bapoum pour les Inrockuptibles
aaapoumbapoum
8
Écrit par

Créée

le 21 juil. 2012

Critique lue 283 fois

3 j'aime

aaapoumbapoum

Écrit par

Critique lue 283 fois

3

D'autres avis sur Alec

Alec
Lazy-Upset
9

"Lazy Upset ne s'est jamais vraiment pardonné de ne pas avoir critiqué ce livre plus tôt."

Dire que ce livre a changé ma vie est un faible mot. Il a contribué à me faire rêver et découvrir une liberté post-étude que je ne soupçonnais point. J'écris enfin cette critique à l'âge qu'a ce cher...

le 4 juil. 2018

Du même critique

Wet Moon, tome 1
aaapoumbapoum
8

Critique de Wet Moon, tome 1 par aaapoumbapoum

On peut constater un certain assagissement chez Atsushi Kaneko. Les formes se désentrelacent, les plans vont en se distinguant les uns des autres et les intrigues se clarifient. Pour résumer : 1) ...

le 3 déc. 2013

18 j'aime

1

Le Samouraï Bambou
aaapoumbapoum
8

Critique de Le Samouraï Bambou par aaapoumbapoum

"Un mauvais ouvrier a toujours de mauvais outils", dit l'adage. Mais qu'en est-il du Samouraï Bambou ? Talentueux guerrier, il semble au contraire avoir bradé sa magnifique lame pour éviter d’en...

le 21 juil. 2012

14 j'aime

Ultra Heaven
aaapoumbapoum
9

Au-delà du réel

Après trois ans d’attente, voici la troisième étape d’Ultra Heaven, une odyssée hallucinée à travers les portes de la perception. Une œuvre au graphisme virtuose qui vous entraîne avec délices dans...

le 20 nov. 2012

12 j'aime

3