Un enterrement et quatre témoignages

« Mon grand-père vient de mourir et c’est un inconnu qui s’en va. J’ai trente ans et je ne connais plus personne de sa génération. Je me suis enfermée dans la mienne, entourée de gens qui me ressemblent. Je m’y sens à l’étroit. » Lors de l’enterrement de son grand-père, avec lequel elle n’est jamais réellement parvenue à tisser des liens (à son propre étonnement, elle ne ressent quasiment aucun chagrin), une jeune trentenaire se rend compte à quel point elle a des idées arrêtées sur son grand-père et ses contemporains. Pour elle, tous les colons belges ayant émigré au Congo sont forcément des racistes qui ont honteusement exploité les noirs, tandis que toutes les femmes de cette époque étaient forcément soumises au bon vouloir de leurs maris. Mais les choses étaient-elles réellement aussi simples qu’elle le croit? Et si ses idées tellement tranchées sur cette époque et les gens de cette génération étaient tout simplement fausses? C’est en se posant ces questions que la jeune femme décide d’aller à la rencontre de quatre personnes âgées, afin de mieux les comprendre. Le premier témoignage qu’elle recueille est celui de Josée, dite Gégé, 94 ans, qui a longtemps vécu au Congo belge, où elle dirigeait une plantation avec son mari Gricha. Puis elle rencontre Paulette, une ancienne danseuse mais surtout une héroïne de la Résistance, qui vit aujourd’hui dans une petite maison ouvrière près de La Louvière. Le troisième « vieux » qu’elle interroge, c’est Luigi, qui a quitté son Italie natale peu après la guerre pour venir travailler dans les mines en Belgique. « Trente ans de charbonnage, et je suis encore vivant », lui dit-il fièrement. Puis enfin, la jeune femme rencontre Renée, une artiste ayant quitté les siens pour vivre une vie de bohême avec son mari Marcel, lui aussi artiste, mais qui se retrouve aujourd’hui bien seule dans sa petite chambre étroite dans une maison de retraite, avec pour seul horizon les souvenirs de sa jeunesse… Chacun de ces témoignages est illustré avec une couleur différente (jaune pour Gégé, bleu pour Paulette, rouge pour Luigi et vert pour Renée), ce qui constitue une très belle trouvaille graphique. Souvent émouvant, « Avant d’oublier » est un roman graphique simple et humain sur l’importance de ne pas couper les liens avec les générations qui nous ont précédé. Les quatre témoignages du livre démontrent à quel point il est profondément injuste de juger quelqu’un sur base de son âge ou son origine sociale: chaque vie est unique, avec ses joies et ses peines, et chaque trajectoire humaine s’inscrit forcément dans son époque. Au passage, les soeurs Anaële Hermans (au scénario) et Delphine Hermans (au dessin) en profitent pour nous retracer l’évolution de la Belgique durant ces cinquante dernières années, en insistant particulièrement sur la condition de la femme. « Avant d’oublier » est une BD qui sonne juste. Elle amène à nous interroger sur le sens de nos vies et surtout, nous donne envie d’aller à la rencontre des gens qui nous entourent. Comme le découvre la jeune femme une fois que son grand-père est mort, il est important d’oser faire ce premier pas à temps. Car après, il est trop tard.
matvano
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le 9 déc. 2014

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