Batman : Secrets
6.5
Batman : Secrets

Comics de Sam Kieth (2006)

Si on peut largement saluer l'excellent travail des éditions Urban Comics (filiale de Dargaud) consacré à la publication des meilleures aventures du Caped Crusader, depuis qu'ils en ont piqué le monopole à Panini Comics à la fin des années 2000, le fan assidu sera lui en droit de se demander pourquoi certains titres anciens n'ont toujours pas été réédités. La preuve avec le travail de Sam Kieth qui n'a jamais fait l'objet d'une quelconque réédition depuis 2008, année de son délirant cross-over Batman/Lobo : Menace fatale. Et ce n'est pas comme si l'auteur avait arrêté sa production pour autant, son Arkham Asylum : Madness attendant toujours une première édition française depuis sa publication outre-atlantique en 2010. Alors quoi ? Cet artiste pue-t-il à ce point du crayon que les décisionnaires de chez Urban préfèrent l'ignorer ?


Particulièrement méconnu de ce côté-ci de l'Atlantique, Batman : Secrets reste un des travaux les plus remarquables de cet auteur. Assurant ici le scénario et le dessin, Sam Kieth revenait avec originalité sur l'antagonisme opposant Batman à sa némésis ricanante. L'histoire de Secrets démarre un peu de la même façon que celle de Joker du duo Azzarello-Bermejo : sur un point de départ peu crédible. Psychanalysé de près par une jeune toubib d'Arkham, le Joker est reconnu guéri de sa psychose et autorisé à quitter les murs de l'asile. Sa libération, particulièrement médiatisée par la télé-poubelle, fait évidemment grand bruit, d'autant plus que le clown compte bien surfer sur le buzz en publiant une auto-biographie et en négociant durement ses interviews. Sa nouvelle compagne, Terry, qui n'est autre que la psy l'ayant déclaré sain d'esprit, devient alors sa complice dans la préparation de ses futurs méfaits. Batman lui, n'est évidemment pas dupe et compte bien prouver aux autorités que le Joker se joue du système. Mais il tombe dans un piège tendu par son ennemi et se voit filmé à son insu par un jeune couple pendant qu'il le violente. La vidéo a vite fait de faire le tour des médias et des réseaux sociaux, écornant la réputation du justicier tout en faisant du terrible clown, sa pauvre victime.


Et voilà donc une énième confrontation entre les ennemis jurés. Sauf que celle-ci précédait tout ce qui a été imaginé par Scott Snyder lors du New 52 et raccrochait plutôt adroitement les wagons avec la conclusion de The Killing Joke (à laquelle le Joker fera d'ailleurs allusion dans le récit, annulant de ce fait la célèbre théorie de son meurtre par le justicier). La dualité Batman/Joker se retrouve à nouveau au centre d'une intrigue qui approfondit un peu plus l'ambivalence des deux personnages. Les armes utilisées ici par le Joker sont pourtant bien différentes qu'à l'accoutumée, le clown se servant des médias pour décrédibiliser la croisade du Chevalier Noir et en faire aux yeux de tous un véritable malade psychopathe. On se rapproche alors de la critique des médias poubelles américains des films Tueurs nés et 15 minutes, qui dénonçaient déjà l'un et l'autre, en leur temps, une certaine glorification et une victimisation malsaine des tueurs par les journalistes. D'autant que la romance vécue par le clown avec une psy amoureuse et psychotique, sorte de proto-Harley Quinn à grands carreaux, renvoie pour beaucoup au romantisme malsain faussement idéalisé dans des films comme Bonnie and Clyde, Kalifornia ou encore là aussi, Tueurs nés.


Mais plus qu'au Joker, c'est en fait à Batman que Sam Kieth s'intéresse surtout à travers ce roman graphique. En choisissant d'imaginer un traumatisme "bénin" dans l'enfance de Bruce Wayne (voire assez ridicule), l'auteur ne partait pas avec la meilleure des idées pour prétexter son intrigue. Au-delà de ce parti-pris narratif assez critiquable (un canard ?), Kieth réussit néanmoins à élaborer la portraiture d'un justicier hanté par ses propres démons et rongé par une violence refoulée qu'il ne peut exprimer que dans sa croisade contre le crime.
Rares sont les intrigues ayant mis en scène un Batman aussi inquiétant que dans Secrets, le justicier apparaissant ici aussi colossal que brutal, plus que jamais prêt à céder à la tentation du meurtre. Le personnage du magnat de la presse Mooley, ami d'enfance de Bruce Wayne, devient alors le témoin privilégié des démons animant Batman et nourrissant son plus célèbre ennemi, tout en personnifiant à lui-seul la déchéance d'un journalisme corrompu, uniquement tourné vers le profit et la loi de l'audimat. Ce dernier point aurait néanmoins mérité meilleur traitement.


Au-delà de son scénario, ce sont surtout les illustrations de Sam Kieth qui frappent l'oeil du lecteur. L'artiste a un style graphique bien a lui, hésitant entre classicisme et caricature agressive. On y décèle l'influence d'artistes comme Richard Corben ou encore Greg Capullo, le côté anarchique en plus. La folie qui se dégage de ses planches, tout en organisation déstructurée, illustre à merveille celle qui parcourt l'intrigue de Secrets, lui donnant des allures de cauchemar halluciné, illustré par un artiste aussi génial que psychotique. La meilleure idée de Kieth a d'ailleurs été de ponctuer l'intrigue de plusieurs apartés étranges entre Batman et son ennemi juré, comme pour mieux rapprocher les deux personnages afin de leur permettre une discussion qu'ils n'auraient jamais ailleurs. Enfermés dans des ténèbres insondables et se tenant côté à côte comme sur un même pied d'égalité, le justicier et le bouffon évoquent l'un et l'autre leur point de vue et se parlent parfois comme de vieux amis, révélant ainsi au lecteur toute l'ambiguïté de leur conflit. Le procédé, assez atypique et déstabilisant, peut ainsi se lire comme une rémanence au final de The Killing Joke, où les deux personnages semblaient déjà discuter à bâton rompu. On reste dans une intrigue particulièrement sombre et violente, et probablement plus dingue que la plupart des autres aventures de Batman, mais on y trouve aussi assez de talent et d'originalité pour apprécier l'oeuvre comme un petite perle méconnue.


Alors les gens de chez Urban, à quand une réédition de Batman Secrets ?

Buddy_Noone
8
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le 1 mai 2020

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Buddy_Noone

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