Bleach
6.4
Bleach

Manga de Tite Kubo (2001)

De l'art de savoir assumer ses plaisirs coupables

Lorsque je tentais mes premières incursions dans le domaine du manga, on me recommanda bien assez tôt Bleach. Mon ami - ou plutôt camarade - me suggéra ce Shônen car, je cite «Le héros, il a une grosse épée». J'étais en CM2.


Et, effectivement, le héros avait une grosse épée. Il avait cela et... un tempérament qui jurait avec ce que le genre Shônen nous présentait jusqu'à lors. Il n'était pas question ici d'un personnage principal pur, enjoué, rigolo et pétris de bonnes intentions. Kurosaki Ichigo était plutôt apathique, blasé, avec un petit fond de morale qui ne l'engageait pas à grand chose. Avec du recul, ce portrait me plaît particulièrement. J'aurais tant aimé qu'il ne se fourvoie pas par la suite dans les shônenneries d'usage et ne développe pas ce complexe du héros nekketsu auto-chargé de la mission de répandre le Bien avec un «B» majuscule.


Aborder la vie d'un adolescent sans trop caricaturer son milieu est chose rare en la matière. Peu à peu, insidieusement, le Weekly Jump s'adressait à un public légèrement plus âgé. Plus question d'un personnage principal dynamique aux culottes courtes et aux joues roses mais plutôt d'une idée plus réaliste de ce qu'était un jeune en ce temps là.
Rien non plus qui ne casse trois pattes à un canard, le manga ne se concentrera jamais vraiment sur ce qui à trait à l'adolescence hélas, car certains moments se voulaient assez profonds et le contexte des premiers volumes rappelait la promiscuité des quartiers de Morioh. L'auteur, toutefois, recadrera toujours l'intrigue sur son fil conducteur : l'histoire d'un gars avec une grosse épée qui découpe des trucs.


Les intrigues n'en sont pas vraiment ; plutôt des prétextes à l'équarrissage spontané et répété. Les Hollows, créatures de l'autre monde issue des âmes corrompues du Hueco Mundo se veulent monstrueux. Il n'est pas question de confrontation, juste d'une purge ; d'une régulation intensive de l'espèce. Bleach se veut d'abord un défouloir avec une pléthore de personnages.
En plus du personnage principal, ses camarades d'école feront office de sous-fifres. Il va sans dire que, sauf exception notoire, tous seront très vite relégués au second si ce n'est troisième plan. Car Bleach, c'est - pour le meilleur et pour le pire - le récit des aventures d'Ichigo. Ses alliés auront droit aux restes qu'il laissera derrière. À la manière de Krillin, Ten Shin Han, Yamcha et Piccolo qui, dans Dragon Ball, finiront par s'effacer pour laisser place à des successeurs plus puissants et supposés plus charismatiques par l'éditeur, les premiers compagnons de route d'Ichigo devront faire profil bas et disparaître dans l'indifférence. Il leur sera toujours permis, à diverses occasions, de crier haut et fort «Ichigo» afin d'encourager le personnage principal et ainsi, faire étalage de leur plus absolue insignifiance.


Mais avant que l'on en arrive à ces extrémités, le manga brillera par son coup d'éclat - sans doute abordé ou bien mentionné dans la plupart des critiques : l'arc Soul Society.
Après les mises en jambes d'usage en début de nekketsu (apprendre ses pouvoirs, réunir des camarades auprès desquels combattre), un scénario de damoiselle en détresse se profile (pas le dernier malheureusement) et brise enfin la monotonie du génocide des Hollows qui s'était instaurée jusque là.


Tite Kubo présentera alors des talents insoupçonnés. Le monde de la Soul Society que seront chargés d'infiltrer le petit groupe d'Ichigo se voudra riche, pourvu de sa propre culture, de ses us et coutumes et de ses particularités. On est très vite charmé par ce qui nous est présenté et l'on est pourtant qu'au début de ses surprises.
Persuadé que j'étais jusqu'à présent que l'auteur ne serait pas foutu de créer des antagonistes crédibles après ne nous avoir offert que des monstres sans personnalité à occire, arrive le Gotei 13. Treize capitaines surpuissants ainsi que leurs troupes que seront chargés d'affronter le cheptel venu les envahir afin de sauver leur amie.
On pourrait s'attendre à un scénario bateau, classique et prévisible où, les uns après les autres, à la mode d'un Saint Seiya contre les chevaliers d'or, les adversaires seraient vaincus jusqu'à ce que la princesse Pea... Rukia soit enfin délivrée de leurs griffes.


Or, il n'en est rien. Prenant le contre-pied des canons prévisibles (et décevant) auxquels le genre nekketsu ne nous a que trop habitués, l'intrigue ne s'avérera pas linéaire. Pas question ici d'une bande de méchants maléfiques se foutant de leurs camarades et se gargarisant sporadiquement d'un rire machiavélique afin d'attester de leur statut d'antagoniste. Le Gotei 13 n'est rien d'autre qu'un ordre établi chargé de réguler les âmes. L'institution est dépourvue de toute mauvaise intention et ne fait en réalité que se défendre face à une invasion sur son sol.
Le panel des personnages qui nous est offert se veut alors dense et riche. Une trentaine de personnages présentés et développés. Tous ayant leur origine et leurs aspirations propres. Au fur et à mesure que l'auteur nous les présente, les personnages principaux passeront au second plan.


L'intrigue au final se concentre sur des antagonismes antérieurs à l'arrivée d'Ichigo et ses amis, antagonismes concernant les différentes factions au sein du Gotei 13 et notamment, un complot ourdi en son sein.


Il ne serait pas charitable de vous en dévoiler l'issue, mais les combats se voudront intenses et, bien que souvent bourrins (à l'exception notoire de l'affrontement entre Kurotsuchi et Ishida), particulièrement jouissifs. La conclusion de l'arc outrepasse les espérances de chacun en terme de surprise et de spectacle : un pur régal. Régal d'autant plus inattendu que l'auteur nous avait vraiment habitué jusque là à de l'intrigue bas de gamme ne servant que de prétexte à la violence gratuite (mais avec une grosse épée. Donc, meilleure).


Puis, la suite de la trame narrative se voudra une conséquence de cet arc. C'est alors que Kubo réalisera peut-être avoir commis sa plus grosse erreur : nous avoir habitué à la qualité et à sortir des sentiers battus. Ce qu'il ne fera hélas... plus jamais.
Nous reprenons donc la voie engagée initialement. Bouter du Hollow. À la nuance près que le bestiaire des alliés d'Ichigo s'est considérablement fourni et que les ennemis ont évolué pour gagner en force et justifier la surenchère de puissance qui s'ensuivra.


Le nombre de personnages impliqués se voulant légion, chacun y trouvera son préféré. Et l'on touche alors au cœur de ce que sera Bleach pour les années à venir : l'incarnation même du fan-service débridé. Femelles pourvues de poumons hypertrophiés, personnages cherchant à paraître classe auprès du lecteur jusqu'à l'outrance, techniques destructrices pondues à la chaîne : c'est du film d'action américain des années 1980 adapté sur planche.
Je ne pense pas que ça soit faire offense à Kubo que de dire cela de son œuvre dans la mesure où il n'a jamais réellement eu la prétention de faire mieux.


C'est encore pour cette raison que je ressens une tendresse bienveillante à l'égard de Bleach. Car, comparativement à ses petits camarades Naruto et One Piece avec lesquels il formait le trio de tête du Shônen Weekly Jump (avant de chuter brutalement suite à la baisse d'audience de son adaptation animée), Bleach n'a jamais réellement périclité dans la mesure où le manga n'a jamais visé très haut pour commencer. Une ligne parallèle à l'axe des abscisses avec quelques occasionnelles fluctuation, voilà pour la courbe chargée de représenter la qualité du manga.


Une fois pris comme tel, on n'en attend au final pas grand chose. Juste un bon défouloir admirablement bien dessiné. Le trait de Kubo, d'abord anecdotique dans les premiers tomes s'affinera au point de devenir l'un des dessins les plus admirables sur le plan esthétique tous Shônens confondus qu'il m'ait été donné de lire jusqu'à présent. C'est sans doute parce qu'il s'appliquait tant sur les représentations de ses personnages qu'il en oubliait de dessiner des décors...


Sur la fin, un chapitre de Bleach se lisait en deux minutes. Des explosions ici et là sur un fond blanc, une ou deux jolies planches, et un power up du protagoniste ou de l'antagoniste devant le regarde éberlué de son adversaire. Il suffisait ensuite de répéter le procédé à l'envie jusqu'à ce qu'un des deux personnages ne puisse plus gagner en puissance grâce à la magie des pouvoirs sortis de nulle part et ne meurt.


J'avoue ressentir une tendresse bienveillante à l'égard de Bleach, justifiant par là même la note excessivement élevée que je lui ai attribué pour la totalité de son intrigue. Car Kubo, contrairement aux autres auteurs de nekketsu à succès ayant méchamment perdus en qualité au cours du temps, a su rester constant. Il a mené sa barque tout droit, sans éclat, sans déception, mais il n'a pas dévié.


Si Bleach se laisse apprécier comme un plaisir coupable, si l'on se laisse aller à la dégustation de ces planches exquises pour rester les vagues témoins d'actes de violence démesurés entre personnages que l'on apprécie (on a tous un préféré dans le tas, ne nous voilons pas la face), le manga se lit sans que l'on ait à forcer.


En revanche, si le lecteur de cette critique espère de cette œuvre - passé l'arc Soul Society - un manga capable de briser la monotonie du genre et le surprendre : qu'il passe son chemin, cela lui évitera quelques déconvenues.


Je précise qu'il est impératif de lire le manga et qu'il faut se garder à tout prix de son adaptation animée. Les dessins sont incapables d'exceller le style de l'auteur et surtout, la lenteur des épisodes étirés jusqu'à l'excès pour faire plus de profit ruine absolument le rythme qui nous est offert sur papier. Qui plus est, l'adaptation animée n'aura pas tenu jusqu'à la fin du manga et se nous prive de l'arc le plus long de la série, renouant avec la qualité de mise en scène abandonnée durant du court arc Fullbringer.


Ça s'apprécie comme un film de Chuck Norris. On se rit des jeux d'acteurs, de la violence improbable, des répliques lunaires et de l'intrigue format timbre-poste mais... au final... on regarde sans s'ennuyer.
À lire pour le divertissement exclusivement, ne pas trop en attendre afin de ne pas en être déçu.


P.S : Une adaptation de l'arc final en version animée est attendue pour 2021.

Josselin-B
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le 4 nov. 2019

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Josselin Bigaut

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