Cartier-Bresson, la BD comme pellicule, la liberté comme étendard

Critique et extraits sur: https://branchesculture.com/2016/07/08/bd-cartier-bresson-morvan-trefouel-savoia/


Hasard des programmes d’éditeurs, après avoir pénétré dans la courte vie de Robert Capa sous le trait de Florent Silloray chez Casterman, il est venu le temps de rencontrer un autre héros du Huitième Art et grand contemporain de Capa: Henri Cartier-Bresson. Tout en utilisant avec parcimonie et brio les photos de celui qui fut surnommé « L’oeil du siècle », Jean-David Morvan, Séverine Trefouël et Sylvain Savoia livrent un portrait juste et digeste de l’homme… derrière l’objectif, des camps nazis à son exposition outre-Atlantique pas si posthume que ça!


Résumé de l’éditeur: 1945. Les Alliés marchent sur les camps et le monde découvre l’horreur nazie. À Dessau, en Allemagne, une rescapée reconnaît sa délatrice et la gifle. Henri Cartier-Bresson, alors sur place, capture ce geste dans une image qui deviendra emblématique. Avant d’accompagner les Américains dans la Libération, puis, plus tard, de cofonder l’agence Magnum, Henri Cartier-Bresson était déjà un photoreporter majeur du XXe siècle. Fait prisonnier en 1940, il parviendra à s’échapper en 1943 et reviendra témoigner en images avec une précision du geste, une science du moment, un talent du cadrage qui feront de lui, selon les mots de Pierre Assouline, « L’oeil du siècle ».


Deux ans ont passé depuis Omaha Beach, premier tome de la collaboration (du beau mariage) entre Dupuis et Magnum Photo (notons qu’entre-temps, il y a eu le rendez-vous carthagénois entre dessin et photo de Raymond Depardon et Loustal, et on n’a pas changé d’époque, ou pas vraiment. Nous voilà même quelques années avant le Débarquement, la guerre se durcit et fait ses premiers prisonniers. Dans les Vosges, peu avant sa capture, le photographe chevronné depuis huit ans cache son bien le plus précieux,son Leica. Un modèle de base qui a fait de la résistance, au début, mais est devenu le meilleur compagnon d’Henri. En France mais aussi dans d’aventureux Tour du Monde. Pourtant, pendant 5 ans, l’appareil photo restera enfoui sous terre et le reporter n’aura que sa mémoire pour prendre des photos, des souvenirs.


Encore une histoire de guerre. Oui, c’est vrai, encore une. Pourtant, c’est sans compter le savoir-faire et le talent du trio qui a trouvé en Cartier-Bresson le témoin idéal. Jouant le jeu des flash-backs en délicatesse et bien manié, Jean-David Morvan et Séverine Trefouël explorent la première partie de carrière de pionnier de l’Agence Magnum Photos. On est loin de la biographie exhaustive et c’est tant mieux (de toute façon, vu l’oeuvre laissée par Cartier-Bresson, ça nous paraît compliqué).


Focalisés sur les années de cette drôle de guerre et plongeant dans les jeunes années d’Henri, les auteurs racontent l’histoire d’une manière toute personnelle et aussi héroïque, au gré des évasions, des scènes cauchemardesques (Oradour-sur-Glane, la martyre), l’évocation des camps de travail, du Stalag, et des combats de la libération parisienne. À travers l’oeil du photographe mais aussi le traitement qu’en font les auteurs, c’est un témoignage personnel mais aussi frais et inédit sur la guerre qui se dévoile.


Le dessin de Sylvain Savoia apporte une nouvelle pierre à l’édifice historique que construit le dessinateur (après Marzi et tout dernièrement Les esclaves oubliés de Tromelin). Les clins d’oeil aux photos du maître sont discrets, la bande dessinée ne s’est pas laissée phagocytée par la photographie et c’est de cette manière que les deux arts s’unissent le mieux. Montrant l’envers du décor du photographe, Savoia fait une nouvelle fois valoir la finesse et l’élégance de son dessin ainsi que son pouvoir d’évocation et sa rigueur. On sent tout de la quête de liberté qui n’a fait que diriger les pas d’Henri Cartier-Bresson. Et quels regards, s’il vous plaît, entre autres qualités, Sylvain Savoia compte parmi les auteurs de BD qui réussissent les plus beaux regards, insondables, que le Neuvième art ait connu. Et sans doute cela a-t-il toute son importance quand c’est de l’oeil du siècle qu’il s’agit.


Cette collaboration entre Dupuis et l’Agence Magnum-Photos revêt décidément de bien beaux atours. D’autant plus que cette évocation de la vie de Cartier-Bresson s’accompagne d’un dossier compilant photos et textes biographiques concocté par Thomas Tode pour aller plus loin. Qu’on n’aime ou pas la photographie, et je dirais même plus, qu’on aime ou pas la BD, voilà un ouvrage à posséder pour mieux comprendre notre histoire et ne pas oublier d’où l’on vient, et ceux qui ont permis de mieux la comprendre.


PS1: Pour le reste de la carrière très longue de Cartier-Bresson, on ne peut s’empêcher de vous passer cette chanson de Delpech écrite par Murat et chantée ici par lui.


PS2: Il ne faudra pas deux ans, pour attendre le troisième one-shot de cette collection puisque qu’il est d’ores et déjà prévu et abordera cette fois un contexte et des lieux totalement différents mais tout aussi bouleversants. Ainsi 15 ans plus tard, c’est le travail de Steven McCurry en première ligne de la tragédie du World Trade Center qui sera raconté toujours par Jean-David Morvan et la pépite coréenne, qui n’en finit plus de faire sensation (notamment par ses live vidéos sur Facebook), Jung Gi Kim. (Aperçu en fin d’article)

Alexis_Seny
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le 4 août 2016

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Alexis Seny

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