Si Isaac Babel est considéré comme l'un des grands écrivains russes du XXème siècle, il n'est certes pas des plus connus, et la parution d'une adaptation en format BD d'un certain nombre de ses nouvelles parues sous le titre de "Cavalerie Rouge", et relatant ses expériences - plus que ses aventures - dans l'armée révolutionnaire chargée de mater dans le sang les Polonais en 1920, est plus que bienvenue. Et ce d'autant que, formellement, le livre de Pécau et Milovic est absolument somptueux, en particulier grâce au graphisme élégant et aux douces aquarelles de ce dessinateur serbe jusqu'à présent "inconnu au bataillon"...


On s'attend bien sûr en ouvrant "Cavalerie Rouge" à des histoires pleines de bruit et de fureur, imaginant bien que la punition du peuple polonais rétif à la Révolution Soviétique n'allait pas être paisible, mais la réalité des exactions russes dépasse évidemment nos prévisions : massacres de femmes, d'enfants, de vieillards et de prêtres, viols en groupe, pillages sans vergognes, toutes les horreurs de la guerre - même "filtrées" par le trait et les couleurs de Milovic -, pour malheureusement aussi convenues qu'elles soient, se déploient dans chacun des 14 cruels récits qui composent ce recueil. Et si le personnage du soldat Babel, observateur largement distancié des souffrances des Polonais et en particulier des Juifs (peuple dont il fait pourtant partie), joue finalement un rôle secondaire dans la plupart de ses histoires, la "voix off" de l'écrivain Babel est essentielle à leur compréhension, ou plutôt leur interprétation. Car sans grande connaissance ni vraie compréhension du contexte historique, l'accès à "Cavalerie Rouge" n'est pas chose aisée, et une grande partie du livre reste finalement assez absconse, sans que l'on puisse dire si c'est le fait de l’œuvre originale, ou bien des choix de narration elliptiques de Pécau. Il faut également noter que les positions idéologiques - apparentes - du soldat Babel (pro-soviétiques), mais également son point de vue "moral" (minimisation du viol, tolérance vis à vis du harcèlement de la population juive), pour logiques qu'ils soient dans le contexte historique puisque Babel était correspondant de guerre pour un journal de propagande, désorientent le lecteur qui ne sait pas toujours à quoi s'en tenir...


Nous voilà du coup forcés de nous raccrocher, au milieu de ce chaos général, à la belle langue de Isaac Babel, qui oscille avec élégance entre la description stoïque, mais non sans humour, des faits, et de brefs élans oniriques, sans même parler des dialogues truculents de personnages paradoxaux, voire insaisissables... C'est indiscutablement cette langue qui constitue le second (et peut-être le plus grand) attrait du livre... et qui donnera probablement à chacun l'envie de découvrir l’œuvre littéraire originelle, pour mieux saisir l'essence de ce fameux "Cavalerie Rouge".


[Critique écrite en 2018]


Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Magazine : https://www.benzinemag.net/2018/05/13/cavalerie-rouge-le-recueil-de-nouvelles-disaac-babel-adapte-en-bd/

EricDebarnot
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleures BD de 2018

Créée

le 11 mai 2018

Critique lue 102 fois

7 j'aime

1 commentaire

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 102 fois

7
1

D'autres avis sur Cavalerie Rouge

Cavalerie Rouge
Fatpooper
5

Journal de guerre d'un littéraire

Inégal. Certains récits sont intéressants, ce sont des réflexions sur la vie, sur l'homme, sur la guerre. Mais certains manquent d'une fin, d'uns structure, ces récits tombent à plat et l'on se dit :...

le 11 sept. 2019

1 j'aime

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

205 j'aime

152

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

191 j'aime

115

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

190 j'aime

25