La haine
S’il y a bien un terme en bande dessinée qu’il est à employer avec des pincettes, c’est bien le « roman graphique ». Utilisé à tout va pour toutes publications sortant un tant soit peu de la norme,...
le 23 déc. 2015
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S’il y a bien un terme en bande dessinée qu’il est à employer avec des pincettes, c’est bien le « roman graphique ». Utilisé à tout va pour toutes publications sortant un tant soit peu de la norme, il y a de quoi y déceler une certaine hypocrisie, un argument de vente galvaudé pour les clients de la « vraie » littérature. Certaines BD méritent pourtant d’être appelés comme tel, et ce n’est ni une question de pagination, de format de parution, mais plutôt d’un style de narration particulier. En effet le roman graphique cherche avant tout la sensualité : sa mise en scène retranscrit plus une atmosphère que des événements, ralentissant ainsi le rythme du récit à foison. Dans cette optique, « Deux frères » publié en mars 2015 par les brésiliens Fábio Moon et Gabriel Bá en est un parfait représentant.
Scénario : Le récit-fleuve d’une famille libanaise installée au Brésil et déchirée par le conflit tenace entre ses deux fils jumeaux, remontant à leur plus tendre enfance. Débutée par une histoire de jalousie sentimentale, le séjour de cinq ans d’un des deux rejetons au Liban ne va pas arranger les choses, bien au contraire. Les frictions ne disparaissent jamais en se cristallisant, et cette cicatrice au visage est le symbole d’une opposition fatale, comme irrémédiable, porteuse de haine, d’années d’attente et de souffrance. Du haut de son grand format de 230 pages, le one-shot adapté d’un roman ambitionne le portrait de personnages tous isolés les uns des autres, et vivant pourtant sous le même toit. Il y a du Visconti dans cette langoureuse histoire de destins brisés, d’égoïsme destructeur, de vengeance absurde.
Dessin : Outre par sa narration très littéraire, c’est aussi par le dessin que « Deux frères » est sous influence d’Hugo Pratt. Un noir et blanc épuré, aux ombres marquées et aux silhouettes stylisés : les décors de la ville de Manaus impressionnent. A travers de grandes cases suintant la chaleur et l’humidité, on a là une richesse aussi simple qu’évocatrice, d’une force à donner le tournis.
Pour : Malgré un verbe omniprésent, ce sont les passages plus silencieux de l’album qui marquent au fer rouge. Rares et précieuses, les cases et planches sans bulles sont des exemples remarquables de narration visuelle et de subtilité graphique. Comme Pratt, encore une fois.
Contre : Le choix de faire du narrateur de l’histoire le fils de la servante familiale provient probablement du roman, mais s’il occasionne une unité de lieu pertinente, il donne surtout un point de vue restreint sur les événements, souvent frustrant et qui porte parfois à confusion.
Pour conclure : Deux frères jumeaux que tout oppose développés par deux frères jumeaux que tout réunit, puisqu’ils se partagent invariablement le scénario et les dessins de leurs publications. Après le très bon « Daytripper », les deux auteurs n’ont pas perdus leur ambition de proposer des récits universels, intimistes qui marquent indéniablement.
Ma critique de "Daytripper" :
http://www.senscritique.com/bd/Daytripper_au_jour_le_jour/critique/39707827
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le 23 déc. 2015
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