Il faut le dire, ce jour-là, je n'étais pas au meilleur de ma forme. Allez savoir pourquoi. Mais dès les premières secondes du film, j'en ai vu un qui portait toute la fatigue et l'accablement du monde dans son regard. Al. Trois balles dans le ventre. Aïe.


Porté par l'une des voix-off les plus émouvantes qu'il m'a été donné d'entendre, "L'Impasse" s'articule tragiquement en sonnant le glas de son personnage, avant de montrer comment il en est arrivé là. Al, après cinq ans de taules alors qu'il devait en tirer trente, doit sa liberté à son avocat et meilleur ami. Dieu sait que le monde a changé, en cinq ans. C'est plus l'héro, maintenant, c'est la coke. Mais Al a décidé de rester en dehors de tout cela. Avec l'âge, on se décourage. Lui, pourtant, est en passe de réaliser son rêve. 70 000 dollars. Et la charmante Penelope Ann Miller. Voilà tout ce qu'il manque à son bonheur. J'aperçois la lumière au bout du tunnel, Al. T'y est presque. Ouch.


Je connais trop peu le cinéma de Brian de Palma (cela devrait vite s'arranger) mais j'avais déjà assisté à sa virtuosité le temps d'une fusillade dans les escaliers d'une gare, celui des "Incorruptibles". Le landau, tout ça. C'était beau. Dans "L'Impasse", sa virtuosité n'a pas de limites, au point qu'elle en devienne naturelle. Ces plans-séquences, ces travellings célestes, cette lumière, cette ombre, cette pluie, tout se dévoile sous nos yeux ébahis avec la plus grande spontanéité. Brian, il sait y faire. Même chaque mot est juste. Il réussit à t'insérer une ou deux boutades, comme ça, en plein milieu d'un bal sanglant sur le fil du rasoir. Et tu ris. De nervosité, car la tension incroyable n'est pas relâchée. D'admiration aussi, car l'alchimie est parfaite. Et pis à la fin, tu pleures. Exactement pour les mêmes raisons.


Décrivant avec génie un implacable et écrasant destin, "L'Impasse" est l'un des plus beaux joyaux des années 90. Brillants de mille éclats comme les yeux sensuels de Penelope Ann Miller, avec une minutie et un sens du cadre qui laisse rêveur. Il permet enfin à un acteur au sommet de son triomphe de nous offrir une interprétation inoubliable. Notamment lorsqu'on le retrouve, sous la pluie, sur un toit d'immeuble, un couvercle de poubelle comme parapluie, à observer Penelope dans l'immeuble d'en face. Brian, je te connais trop peu, mais tu auras du mal à m'éblouir autant la prochaine fois. Et ton obession pour les gares, je vais bien finir par la partager. Après tout, c'est bien là que tout a commencé...

Créée

le 5 août 2015

Critique lue 2.5K fois

46 j'aime

12 commentaires

Marius Jouanny

Écrit par

Critique lue 2.5K fois

46
12

D'autres avis sur L'Impasse

L'Impasse
Gothic
9

The world is yours...or is it ?

Contrairement à ce que le titre du film peut laisser à penser, "Carlito's Way" n'est pas un biopic sur Sarkozy. En lieu et place d'une oeuvre qui aurait pu être au mieux ennuyeuse, De Palma et Pacino...

le 22 mai 2014

119 j'aime

28

L'Impasse
DjeeVanCleef
10

Déjà vu

Un homme meurt sur le quai d'une gare. Il ne voit pas l'ange qui l'accompagne mais regarde ça, cet homme qui meurt, cabrón, c'est moi. Je glisse doucement. On me tire vers le sol, j'ai toujours eu la...

le 15 juin 2014

102 j'aime

12

L'Impasse
PierreAmoFFsevrageSC
10

Vive l'amour!

Pour une bonne critique, allez lire un Djee sur SC (et bien d'autres). Là où tous ne pensent qu'à la prestation mesmerique de Sean Penn, si magique que peu l'ont reconnu avant d'être informés que...

le 29 janv. 2016

87 j'aime

18

Du même critique

L'Impasse
Marius_Jouanny
9

Le dernier des Moricains

Il faut le dire, ce jour-là, je n'étais pas au meilleur de ma forme. Allez savoir pourquoi. Mais dès les premières secondes du film, j'en ai vu un qui portait toute la fatigue et l'accablement du...

le 5 août 2015

46 j'aime

12

All Things Must Pass
Marius_Jouanny
9

La sublime diarrhée de George Harrison

1970. Un an après Abbey Road, George Harrison sort ni plus ni moins qu’un triple album de presque deux heures. Un ouragan d’inventivité et de registres musicaux, en grande partie l’aboutissement...

le 22 avr. 2016

44 j'aime

6

Les Proies
Marius_Jouanny
6

Sofia's touch

Difficile de dissocier "Les Proies" de Sofia Coppola du film éponyme dont il est le remake, réalisé par Don Siegel en 1971. Au-delà de constater la supériorité de l'original, ce qui est assez...

le 28 août 2017

38 j'aime

4