Difficile de dissocier "Les Proies" de Sofia Coppola du film éponyme dont il est le remake, réalisé par Don Siegel en 1971. Au-delà de constater la supériorité de l'original, ce qui est assez stérile, le petit jeu des différences entre les deux oeuvres peut en fait permettre de mieux comprendre la proposition de la réalisatrice. En soi, la proposition narrative correspond parfaitement à son univers, et plus précisément à celui de son premier film "Virgin Suicides" : un microcosme féminin hermétique, où la virginité et l'innocence n'attendent qu'une étincelle pour s'embraser, en l'occurrence ici un soldat nordiste blessé dans le contexte de la guerre de Sécession. Il s'agit alors de voir ce qui fait la spécificité du traitement de Sofia Coppola, ce qui l'obsède par rapport à Don Siegel qui signait à l'époque son film le plus cynique, subversif et sulfureux de sa carrière.
Tout ce que n'est pas son remake, en somme. C'est la première chose qui choque au visionnage du film : Sofia Coppola s'est évertuée à arrondir les angles du film original. Le militaire nordiste n'embrasse donc pas une fille de 12 ans au bout de cinq minutes de film, il n'y a pas d'esclave noire dans le pensionnat de jeune fille, la doyenne de l'institut n'a pas eu de relation incestueuse avec son frère, la scène de l'amputation est coupée, et tout cela sans un bout de fesse à l'écran. Si l'on peut expliquer ce rétropédalage par une forme d'autocensure de la part de la cinéaste, symptôme d'une tendance générale à Hollywood, il est plus intéressant d'y voir une véritable intention. Après tout, Sofia Coppola n'a pas la même virulence iconoclaste de Don Siegel et encore moins son cynisme goguenard. Elle propose d'autres registres avec sa version et c'est bien pour cela qu'on ne peut pas simplement lui reprocher de proposer un scénario plus consensuel que celui de 1971.
En terme de pure narration, on peut déjà y voir un souci de synthèse. Passant de 1h45 à 1h30, le script est plus ramassé. Mais ce que la version de Coppola gagne en limpidité et en efficacité, elle le perd en naturel : le mécanisme trop bien huilé précipite la dernière partie du film qui se conclue trop abruptement. C'est dommage, car toute la première partie du métrage annonçait des intentions originales. En fragilisant la figure du militaire blessé, loin du machiavélisme pervers de Clint Eastwood, Colin Farrell campe un personnage plus ambigu et empathique. A l'ombre de ces jeunes filles en fleurs, il fait moins figure d'un loup dans la bergerie que d'un coureur de jupons débordé. En cela, sa castration symbolique après la chute des escaliers marque une rupture bien plus nette, car il était jusque-là parfaitement idéalisé dans la perception des personnages féminins. C'est bien ici que Sofia Coppola se distingue : en adoptant le point de vue des pensionnaires, elle fait du militaire l'archétype du prince charmant qui ne révèle sa violence qu'après avoir été dépossédé définitivement d'une partie de ses moyens physiques, là où cette violence est continuelle dans le métrage original.
Le désenchantement des hôtesses émoustillées est donc pertinemment amorcé, mais en ne se démarquant pas de Don Siegel pour conclure son film, Sofia Coppola ne consomme pas de bien alléchantes prémices. La phallocratie du prince apeuré comme la naïveté de ces filles élevées en marge de la société sont bien démontrées, mais le mouvement périlleusement empathique des camps en présence manque d'une assise pour accorder du crédit aux dernières séquences. Reste une mise en scène contemplative et picturale, au détour des saules pleureurs et des décors d'intérieur sublimement éclairés, qui nous rappelle que Sofia Coppola est une esthète toujours aussi louable. Et qu'elle cultive le paradoxe de faire naître la violence avec douceur. Encore faudrait-il qu'elle sache porter ses intentions jusqu'au bout.